crut que c’était Ferondo qui allait ainsi par le pays pour faire pénitence ; ce qui fut l’objet de grosses nouvelles parmi les gens du village, et on le redit plusieurs fois à sa femme, laquelle savait bien, elle, ce que c’était.
« Ferondo ayant repris ses sens et se voyant dans le caveau sans savoir où il était, le moine bolonais y entra en prenant une voix horrible, tenant des verges à la main ; et l’ayant saisi, il le battit grandement, Ferondo pleurant et criant, ne faisait que demander : « Où suis-je ? — » À quoi le moine répondit : « — Tu es en purgatoire. — » « — Comment ! — dit Ferondo — suis-je donc mort ? — » Le moine dit : « — Mais oui. — » Sur quoi Ferondo se mit à pleurer sur lui-même, sur sa femme et sur son enfant, disant les plus étranges choses du monde. Alors le moine lui porta un peu à manger et à boire ; ce que voyant Ferondo, il dit : « — Oh ! est-ce que les morts mangent ? — » Le moine dit : « — Oui, et voilà ce que je te porte ; la femme qui fut tienne, l’envoie chaque matin à l’église pour faire dire des messes pour ton âme, et Dieu veut qu’on te le donne ici. — » Ferondo dit alors : « — Seigneur, donne-lui le bon an, je lui voulais grand bien avant que je mourusse, tellement que je la tenais toute la nuit en mes bras et ne faisais que l’embrasser, et autre chose aussi quand l’envie m’en venait. — » Puis, ayant grand besoin, il se mit à manger et à boire ; et le vin ne lui paraissant pas trop bon, il dit : « — Seigneur, punis-la de ce qu’elle n’a pas donné au curé du vin du tonneau qui est contre le mur. — » Mais quand il eut mangé, le moine le reprit de nouveau, et avec les mêmes verges lui redonna une grande batterie. Sur quoi, Ferondo ayant beaucoup crié, dit « — Eh ? pourquoi me fais-tu cela ? — » Le moine dit : « — Parce que Dieu a ordonné qu’on te le fasse deux fois par jour. — » « — Et pour quel motif, dit Ferondo ? » Le moine dit : « — Parce que tu fus jaloux, ayant pour femme la meilleure dame qui fût dans ta contrée. — » « — Hélas ! dit Ferondo — tu dis vrai, et la plus douce ; elle était plus mielleuse que confiture, mais je ne savais pas que Dieu eût pour mauvais que l’homme fût jaloux, car je ne l’aurais point été. — » Le moine dit : « — Tu aurais dû t’apercevoir de cela pendant que tu étais là-haut, et t’en corriger. Et s’il arrive jamais que tu y retournes, fais en sorte d’avoir à l’esprit ce que je te fais aujourd’hui, et ne sois plus jamais jaloux. » Ferondo dit : « — Oh ! ceux qui meurent y retournent-ils jamais ? — » Le moine dit : « — Oui, ceux que Dieu veut. — » « — Oh ! — dit Ferondo — si j’y retourne jamais, je serai le meilleur mari du monde ; je ne la battrai jamais, je ne lui dirai jamais d’injures, excepté à propos du vin qu’elle m’a envoyé ici ce matin, et aussi parce qu’elle ne m’a