Page:Boccace - Décaméron.djvu/229

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n’est vous, si ce que j’ai entendu est vrai, à savoir que le comte mon mari aime passionnément votre fille. — » À quoi la gente dame dit : « — Madame, si le comte aime ma fille, je ne le sais, mais il en fait grand montre ; mais que puis-je faire en cela que vous désiriez ? — » — Madame — répondit la comtesse — je vous le dirai ; mais premièrement je veux vous montrer ce que j’entends qu’il s’ensuive pour vous si vous me servez. Je vois votre fille belle et grande à marier, et par ce qu’il me semble avoir entendu et compris, c’est le manque de bien pour la marier qui vous la fait garder à la maison. J’entends, pour prix du service que vous me rendrez, lui donner sur-le-champ de mes deniers telle dot que vous estimerez vous-même convenable pour la marier honorablement. — »

« L’offre plut à la dame qui était dans le besoin, mais cependant, ayant l’âme noble, elle dit : « — Madame, dites-moi ce que je puis faire pour vous, et si c’est chose honnête à moi, je le ferai volontiers, et vous ferez ensuite ce qu’il vous plaira. — » La comtesse dit alors : « — J’ai besoin que vous fassiez dire au comte, mon mari, par une personne en qui vous ayez confiance, que votre fille est prête à satisfaire tous ses désirs, pourvu qu’elle puisse être assurée qu’il l’aime autant qu’il en fait montre, ce qu’elle ne croira jamais s’il ne lui envoie l’anneau qu’il porte à la main, et qu’elle a entendu dire qu’il aimait tant. S’il le lui envoie, vous me le donnerez ; puis vous lui manderez dire que votre fille est prête à faire selon son plaisir ; vous le ferez venir secrètement ici, et vous me mettrez en place de votre fille à ses côtés. Peut-être Dieu me fera la grâce de devenir grosse ; et ainsi, ayant son anneau au doigt et au bras un enfant engendré de lui, je le reconquerrai et je demeurerai avec lui, comme une femme doit demeurer avec son mari, et vous en serez cause. — » Cette chose parut grave à la gente dame, qui craignait que peut-être il ne s’ensuivît du blâme pour sa fille ; mais pourtant, songeant que c’était chose honnête de donner la main à ce que la bonne dame pût ravoir son mari et qu’elle se prêtait à faire cela pour une bonne fin, se fiant à sa bonne et honnête affection, non-seulement elle promit à la comtesse de le faire, mais au bout de quelques jours, avec beaucoup de prudence et de mystère, suivant l’ordre qui lui avait été donné, elle eut l’anneau — bien que cela parût dur au comte — et elle la fit habilement coucher avec le comte à la place de sa fille.

« Dans ces premiers embrassements très affectueusement cherchés par le comte, la dame, comme cela plut à Dieu, devint grosse de deux enfants mâles, ainsi que ses couches venues en temps voulu le firent voir. La gente dame ne se