Page:Boccace - Décaméron.djvu/34

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courir, comme je m’aperçois que vous voulez faire. Souvenez-vous que nous sommes toutes femmes, et il n’en est pas une de nous qui soit assez enfant pour ne pas bien savoir comment les femmes s’accommodent ensemble et savent se régler sans le secours d’un homme. Nous sommes mobiles, contredisantes, soupçonneuses, pusillanimes et peureuses. Pour quoi, je crains fort, si nous ne prenons pas d’autre guide que nous, que notre société ne se dissolve beaucoup trop tôt et avec moins d’honneur pour nous qu’il ne faudrait. Et, pour ce, il est bon de réfléchir avant que nous commencions. — » Elisa dit alors : « — De vrai, les hommes sont les chefs des femmes, et sans leur autorité, rarement il arrive qu’une œuvre de nous parvienne à une fin louable. Mais comment pourrions-nous avoir ces hommes ? Chacune de nous sait que, des siens, la majeure partie est morte. Quant à ceux qui ont survécu, les uns ici, les autres là, réunis en divers groupes, sans que nous sachions où, il s’en vont fuyant ce que nous cherchons nous-mêmes à fuir. Prier des étrangers de nous rendre ce service, ne serait pas convenable. Pour quoi, si nous voulons pourvoir à notre salut, il faut trouver à nous arranger de façon que, où que nous allions pour nous divertir ou pour nous reposer, ennui ni scandale ne s’ensuive. — »

Pendant que les dames raisonnaient ainsi, voici qu’entrèrent dans l’église trois jeunes gens dont le moins âgé n’avait cependant pas moins de vingt-cinq ans, et chez lesquels, ni la perversité du temps, ni la perte d’amis ou de parents, ni la peur pour eux-mêmes, n’avaient pu, je ne dis pas éteindre, mais refroidir l’ardeur amoureuse. Le premier s’appelait Pamphile, le second Philostrate, et le troisième Dioneo. Chacun d’eux était d’humeur plaisante et de belles manières ; et ils s’en allaient cherchant pour leur suprême consolation, dans une telle perturbation de toutes choses, à voir leurs dames, lesquelles, par aventure, étaient toutes trois parmi les sept susdites, de même que quelques-unes des autres étaient parentes ou alliées de certains d’entre eux. Elles les aperçurent les premières, avant qu’elles n’en eussent été vues ; pour quoi, Pampinea commença en souriant : « — Voici que la fortune nous est dès le début favorable ; elle met à notre disposition des jeunes gens discrets, pleins de valeur, et qui volontiers nous serviront de guides et de serviteurs, si nous ne refusons pas de les prendre pour cet office. — » Neiphile, dont le visage était devenu tout vermeil de vergogne, pour ce qu’elle était une de celles qu’aimait un des trois jeunes gens, dit : « — Par Dieu, Pampinea, prends garde à ce que tu dis. Je reconnais parfaitement qu’on ne pourrait rien dire que de très bon sur n’importe lequel d’entre eux, et je les crois très aptes