Page:Boccace - Décaméron.djvu/364

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Tindaro voulant répondre, la Licisca, qui était une femme d’un certain âge, aussi altière que pas une et fort échauffée de crier, se tourna vers lui, la mine furieuse et dit : « — Voyez cette bête d’homme qui est assez hardi de parler avant moi, quand je suis là ! Laisse-moi parler. — » Et s’étant tournée vers la reine, elle dit : « — Madame, celui-ci veut m’apprendre ce qu’était la femme de Sycophant ; il veut ni plus ni moins, comme si je ne l’avais pas fréquentée, me persuader que la première nuit que Sycophant coucha avec elle, Messer Mazza entra dans la montagne noire de force et après grande perte de sang. Et moi je dis que ce n’est pas vrai ; qu’au contraire il y entra tout pacifiquement et au grand plaisir de ceux qui y étaient. Et celui-ci est si bête, qu’il croit les jeunes filles assez sottes pour rester à perdre leur temps, à la merci de leur père ou de leurs frères, qui, six fois sur sept, tardent trois ou quatre ans de plus qu’ils ne devraient pour les marier. Elles s’en trouveraient bien, ma foi, si elles attendaient tant ! Par la foi du Christ — et je dois savoir ce que je me dis, quand je jure — il n’y a pas une de mes voisines qui soit allée pucelle à son mari ; et pour celles qui sont mariées, je sais combien et quels bons tours elles font à leurs maris ; et cette brute veut m’apprendre à connaître les femmes, comme si j’étais née d’hier. — »

Pendant que la Licisca parlait, les dames faisaient de si grands éclats de rire, qu’on aurait pu leur arracher toutes les dents. La reine lui avait bien imposé silence plus de six fois, mais rien ne faisait ; elle ne s’arrêta point qu’elle n’eût dit tout ce qu’elle voulait. Mais quand elle eut fini, la reine, se tournant vers Dioneo, dit en riant : « — Dioneo, voici qui te regarde ; et pour ce, quand nous autres nous aurons fini nos nouvelles, tu feras en sorte de décider finalement sur ce point. — » À quoi Dioneo répondit sur le champ : « — Madame, la sentence est prononcée, sans qu’il soit besoin d’en entendre davantage ; et je dis que la Licisca a raison, et je crois qu’il en est comme elle dit, et que Tindaro est une bête. — » Ce qu’entendant la Licisca, elle se mit à rire, et se tournant vers Tindaro, elle dit : « — Je te disais bien, moi ! Va-t’en à la grâce de Dieu. Crois-tu en savoir plus que moi, toi qui n’as pas encore les yeux secs ? Grand merci, ce n’est pas en vain que j’ai vécu, moi ! — » Et n’eût été que la reine lui imposa silence d’un air irrité, et lui ordonna de ne plus ajouter un mot et de cesser toute querelle, si elle ne voulait être fouettée et chassée ainsi que Tindaro, on n’aurait rien eu à faire de tout ce jour que de s’occuper d’elle. Quand ils furent partis, la reine ordonna à Philomène de commencer les nouvelles. Celle-ci commença joyeusement ainsi :