Page:Boccace - Décaméron.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité, madame, j’ai pitié de vous, car je vois qu’en cette circonstance vous perdez votre âme ; mais moi, pour vous rendre service, je veux prendre peine à faire spécialement mes prières à Dieu en votre nom ; peut-être vous aideront-elles. Je vous enverrai aussi quelquefois un mien petit clerc, à qui vous direz si elles vous ont servi ou non ; et si elles vous ont été utiles, nous verrons à faire mieux. — » À quoi la dame dit : « — Messire, gardez-vous de m’envoyer personne chez moi, car si mon mari le savait, il est si fort jaloux que rien au monde ne lui ôterait de la tête qu’on vient dans une mauvaise intention, et de toute l’année je n’aurais pas un moment de tranquillité avec lui. — » À quoi le jaloux dit : « — Madame, ne vous mettez pas en peine de cela, car je m’arrangerai certainement de façon que vous n’aurez jamais de reproche de lui à ce sujet. — » La dame dit alors : « — Si cela vous encourage à le faire, j’y consens. — » Et la confession finie et la pénitence donnée, elle se leva et alla entendre la messe.

« Le jaloux soufflant de fureur en sa male aventure, alla dépouiller ses habits de prêtre et retourna chez lui, brûlant de surprendre ensemble le prêtre et sa femme, et disposé à faire un mauvais parti à l’un et à l’autre. La dame revenue de l’église, vit bien, à l’air de son mari, qu’elle lui avait donné la male Pâques ; mais lui, s’efforçait de son mieux à cacher ce qu’il avait fait et ce qu’il croyait savoir. S’étant décidé à guetter la nuit suivante derrière la porte de la rue, et attendre pour voir si le prêtre viendrait, il dit à la dame : « — Il faut que ce soir j’aille souper et coucher au dehors ; pour ce, tu fermeras bien la porte de la rue, celle du milieu de l’escalier et celle de ta chambre, et quand bon te semblera, tu te mettras au lit. — » La dame répondit : « — À la bonne heure. — » Puis, aussitôt qu’elle en eut le loisir, elle alla au trou et fit le signal accoutumé ; sur quoi, l’ayant entendu, Filippo accourut aussitôt. La dame lui dit ce qu’elle avait fait dans la matinée et ce que son mari lui avait dit après avoir déjeuné ; puis elle ajouta : « — Je suis certaine qu’il ne sortira point de la maison, mais qu’il se mettra aux aguets près de la porte ; pour ce, trouve un moyen de venir cette nuit par le toit, de façon que nous puissions nous trouver ensemble. — » Le jeune homme, très content de cela, dit ; « — Madame, laissez-moi faire. — »

« La nuit venue, le jaloux alla se cacher tout armé et sans bruit dans une chambre basse. Quant à la dame, après avoir fait fermer toutes les portes et principalement celle du milieu de l’escalier, afin que le jaloux ne pût monter la déranger, elle fit, quand le moment lui sembla venu, entrer le jeune homme par un chemin fort secret, et tous deux al-