Page:Boccace - Décaméron.djvu/430

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plaindre. — » Arriguccio, en la voyant, la regardait comme un homme tout abasourdi, se rappelant lui avoir donne plus de mille coups de poing sur la figure, l’avoir égratignée, bref lui avoir fait tout le mal du monde, tandis que maintenant il la voyait comme si rien ne s’était passé. Les trois frères lui racontèrent brièvement ce qu’Arriguccio leur avait dit au sujet de la ficelle, des mauvais traitements qu’il lui avait infligés, enfin tout. La dame, se tournant vers Arriguccio, dit : « — Eh ! mon mari, qu’est-ce que j’entends ? Pourquoi me fais-tu passer, à ta grande vergogne, pour une femme coupable, alors que je ne le suis pas, et te fais-tu passer, toi, pour l’homme méchant et cruel que tu n’es point ? Avec qui as-tu été céans cette nuit, si ce n’est avec moi ? Quand m’as-tu battue ? Pour moi, je ne m’en souviens point ? — »

« Arriguccio se mit à dire : « — Comment, méchante femme, n’avons-nous pas été ensemble au lit ? Ne suis-je point revenu ici, moi, après avoir poursuivi ton amant ? Ne t’ai-je pas donné mille coups et arraché les cheveux ? — » La dame répondit : « — Tu n’as point couché céans hier soir. Mais laissons cela, car je ne puis en donner d’autres preuves que mes paroles qui disent vrai, et venons-en à ce que tu dis de m’avoir battue et arraché les cheveux. Tu ne m’as jamais battue ; que tous ceux qui sont ici et toi-même me fassiez voir si j’ai aucune trace de coups sur toute ma personne ! Et je ne te conseillerais pas d’être assez hardi pour porter la main sur moi, car, par la croix de Dieu, je te dévisagerais de belle sorte. Tu ne m’as pas davantage arraché les cheveux ; du moins je ne l’ai ni senti ni vu ; mais peut-être me les as-tu arrachés sans que je m’en aperçusse. Voyons voir si je les ai arrachés ou non. — » Et, ayant ôté ses voiles de sa tête, elle montra que ses cheveux n’avaient point été arrachés, mais qu’ils étaient entiers.

« Ce que voyant et entendant les trois frères et la mère, ils se mirent à dire à Arriguccio : « — Que veux-tu dire, Arriguccio ? Ce n’est pas là ce que tu es venu nous dire que tu avais fait, et nous ne savons pas comment tu pourras prouver le reste. — » Arriguccio était comme dans un rêve et voulait parler, mais voyant que ce qu’il croyait pouvoir facilement prouver n’existait pas, il n’osait rien dire. La dame, s’étant tournée vers ses frères, dit : « — Mes frères, je vois qu’il est allé chercher ce que je ne voulais jamais faire, à savoir que je vous raconte ses misères et sa méchanceté ; et bien, je le ferai. Je crois fermement que ce qu’il vous a dit lui est arrivé et qu’il l’a fait ; écoutez comment. Ce galant homme à qui pour male heure vous m’avez donnée pour femme ; qui se fait appeler mar-