Page:Boccace - Décaméron.djvu/443

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s’il était perdu. À quoi Tingoccio répondit : « — Les choses perdues sont celles qui ne se retrouvent point ; et comment serais-je ici, si j’étais perdu ? — » « — Eh ! — dit Meuccio — je ne dis pas cela, mais je te demande si tu es parmi les âmes damnées dans le feu vengeur de l’enfer. — » À quoi Tingoccio répondit : « — Non ; mais je suis, pour les pèches par moi commis, en grandissime peine et en grave angoisse. — » Meuccio demanda alors en détail à Tingoccio quelle peine on infligeait là-bas pour chacun des péchés qui se commettent ici, et Tingoccio les lui dit toutes. Puis Meuccio lui demanda s’il voulait qu’il fît quelque chose pour lui sur la terre. À quoi Tingoccio répondit que oui, à savoir qu’il fît dire pour lui des messes et des prières et qu’il fît faire des aumônes, pour ce que ces choses aident fort ceux qui sont là-bas. Meuccio dit qu’il le ferait volontiers ; et comme Tingoccio allait le quitter, Meuccio se souvint de la commère, et ayant soulevé un peu la tête il dit : « — À propos, Tingoccio, je me rappelle : et la commère avec laquelle tu as couché, quand tu étais en ce monde, quelle peine t’a-t-on infligée là-bas, à son sujet ? — » À quoi Tingoccio répondit : « — Mon frère, comme j’arrivai là-bas, j’en trouvai un qui paraissait savoir tous mes péchés par cœur, et qui m’ordonna d’aller en un lieu où je devais pleurer mes fautes au milieu de grands tourments ; là, je trouvai de nombreux compagnons condamnés à la même peine que moi ; et, comme je me tenais parmi eux, me rappelant ce que j’avais fait avec la commère et attendant pour ce péché une peine plus grande encore que celle qui m’était imposée, bien que je fusse en un grand feu très ardent, je tremblais cependant de peur. Ce que voyant, quelqu’un qui était à côté de moi dit : « — Qu’as-tu fait de plus que les autres qui sont ici, que tu trembles étant dans le feu ? — » « — Oh ! — dis-je — mon ami, j’ai grand’peur du jugement auquel je m’attends pour un grand péché que j’ai commis autrefois. — » Il me demanda alors quel péché c’était. À quoi je dis : « — Ce péché fut celui-ci : Je couchais avec une mienne commère, et j’y ai tellement couché que j’y ai laissé la peau. — » Alors, lui, riant de cela, me dit : « — Va, sot que tu es, ne crains rien ; ici l’on ne tient aucun compte des commères. — » Ce qu’entendant je fus complètement rassuré. — » Cela dit, et le jour s’approchant, Tingoccio ajouta : « — Meuccio, adieu, car je ne puis plus longtemps rester avec toi. — » Et soudain il disparut.

« Meuccio, ayant appris qu’on ne tenait là-bas aucun compte des commères, commença à se moquer de sa sottise, pour ce que déjà il en avait épargné plusieurs. Pour quoi, son ignorance ayant été mise de côté, il devint par la suite