fils, est-ce là ce qui te paraît un si grand péché ! Les hommes blasphèment Dieu tout le jour, et il pardonne volontiers à qui se repent de l’avoir blasphémé ; et tu ne crois pas qu’il puisse te pardonner cela ! Ne pleure pas ; console-toi, car certainement, quand même tu aurais été un de ceux qui le mirent en croix, il te pardonnerait en faveur de la contrition que je te vois. — » Ser Ciappelletto dit alors : « — Hélas ! mon père, que dites-vous ? Ma douce mère qui me porta dans son sein pendant neuf mois, le jour et la nuit, et me tint suspendu plus de cent fois à son cou, j’ai trop mal fait en blasphémant contre elle, et c’est un trop grand péché ; et si vous ne priez pas Dieu pour moi, il ne me sera point pardonné. — »
« Le moine voyant qu’il ne restait plus rien autre à dire à ser Ciappelletto, lui donna l’absolution ainsi que sa bénédiction, le tenant pour un très saint homme, car il croyait pleinement que tout ce qui lui avait été dit était vrai. Et qui ne l’aurait cru, voyant un homme en danger de mort parler ainsi ! Après quoi, il lui dit : « — Ser Ciappelletto, avec l’aide de Dieu, vous serez bientôt guéri ; mais s’il arrivait cependant que Dieu rappelât à lui votre âme bénie et bien disposée, vous plairait-il que votre corps fût enseveli dans notre couvent ? — » À quoi ser Ciappelletto répondit : « — Oui, messire, et même je ne voudrais pas être enseveli ailleurs, puisque vous m’avez promis de prier Dieu pour moi, sans que j’aie jamais eu une dévotion spéciale pour votre ordre. C’est pourquoi je vous prie, lorsque vous serez rentré dans votre couvent, de faire en sorte que l’on m’apporte le corps très-véritable du Christ que vous consacrez le matin sur l’autel, car, bien que je n’en sois pas digne, je désire avec votre licence le prendre et puis recevoir la sainte et extrême-onction, afin que, si j’ai vécu comme un pécheur, je meure au moins comme un chrétien. — » Le saint homme dit que cela lui plaisait fort et qu’il parlait bien, et qu’il ferait en sorte que le viatique lui fût apporté sans retard ; ce qui fut fait.
« Les deux frères qui craignaient que ser Ciappelletto ne les trompât, s’étaient placés contre une cloison qui séparait la chambre où gisait le malade d’une autre chambre voisine, et là, écoutant, ils entendirent facilement ce qu’il disait au moine. Il leur était arrivé par moment d’avoir si grande envie de rire, en entendant les choses qu’il se confessait d’avoir faites, qu’ils étaient sur le point d’éclater, et ils se disaient entre eux : « — Quel homme est celui-ci, que ni la vieillesse, ni la maladie, ni la peur de la mort dont il se voit si proche, ni même Dieu devant le jugement duquel il s’attend à comparaître d’ici à peu d’heures, n’ont pu l’arracher à sa scélératesse, et n’ont pu faire qu’il ne vou-