Page:Boccace - Décaméron.djvu/472

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continuait sa besogne sans faire semblant de prendre garde à ce qui se passait, quand il entendit dire derrière lui ; « — Eh ! Calandrino, que veut dire ceci ? — » Pour quoi, s’étant soudain retourné, et voyant que Calandrino avait craché sa pilule, il dit : « — Attendez ; peut-être est-ce « quelque autre motif qui la lui a fait cracher ; tiens, prends-en une autre. — » En prenant la seconde pilule de chien, il la lui mit dans la bouche et continua à distribuer celles qu’il lui restait à donner.

« Si la première pilule avait paru amère à Calandrino, la seconde lui parut plus amère encore ; mais pourtant, ayant honte de la cracher, il la mâcha quelque temps dans sa bouche, et pendant qu’il la tenait, il versait des larmes qui semblaient le faire souffrir beaucoup, tant elles étaient grosses ; enfin n’en pouvant plus, il la rejeta hors de sa bouche, comme il avait fait de la première. Buffamalcco était en train de verser à boire à la compagnie et à Bruno. En voyant ce que venait de faire Calandrino, tous s’accordèrent à dire, que, pour sûr, c’était lui qui s’était volé son cochon, et il y en eut qui lui firent de vifs reproches. Mais quand ils furent partis et que Calandrino fut seul avec Bruno et Buffamalcco, ce dernier se mit à dire : « — J’étais bien sûr que c’était toi qui l’avais pris, et que tu voulais nous faire croire qu’on te l’avait volé, pour ne point nous offrir à boire un coup avec l’argent que tu en as retiré. — » Calandrino qui n’avait pas encore pu entièrement cracher l’amertume de l’aloès, se mit à jurer qu’il ne l’avait point eu. Buffamalcco dit : — « Voyons, farceur, de bonne foi, combien en as-tu retiré ? en as-tu eu six florins ? » Calandrino entendant cela, se mit à se désespérer. Sur quoi, Bruno dit : « — Écoute, Calandrino, un de ceux qui viennent de manger et de boire avec nous, m’a dit que tu avais ici une jeunesse que tu tenais à ta disposition, et que tu lui donnais tout ce que tu pouvais mettre de côté, que pour sûr tu lui avais envoyé ce cochon. Tu as l’habitude de faire des farces. Tu nous as menés une fois le long du Mugnon ramasser des pierres noires, et quand tu nous as eu embarqués sans biscuits, tu t’en es revenu ; puis tu as voulu nous faire croire que tu avais trouvé la pierre enchantée. Et aujourd’hui encore tu crois avec tes serments nous faire croire que le cochon que tu as donné ou vendu, t’a été volé ! Nous sommes fatigués de tes plaisanteries et nous les connaissons ; tu ne nous en pourras plus faire d’autres, et pour ce, à te dire vrai, que nous avons pris beaucoup de peine à faire l’enchantement, nous entendons que tu nous donnes deux paires de chapons, sinon, nous dirons tout à Monna Tessa. — » Calandrino voyant qu’il n’était point cru d’eux, et jugeant qu’il