vous le dire : je n’ai pas en cette affaire autant de pouvoir que vous le croyez, et pour ce, je ne peux pas faire pour vous ce dont il serait besoin ; mais si vous me promettez sur votre grande et finie foi de me garder le secret, je vous dirai comment il faudra vous y prendre, et je sais qu’ayant, comme vous me l’avez dit tout à l’heure, de si beaux livres et tant d’autres choses, vous réussirez. — » À quoi le maître dit : « — Parle sans crainte ; je vois que tu ne me connais pas bien, et que tu ne sais pas encore comme je suis discret. Quand messer Guasparruolo était juge du podestat de Forlinpopoli, il y avait peu de choses qu’il fît sans me les faire savoir, pour ce qu’il me savait très discret. Et veux-tu voir si je dis vrai ? Je fus le premier à qui il dit qu’il allait épouser la Bergamina ; vois-tu maintenant ! — » « — Or bien, dit Bruno — si celui-ci se fiait à vous, je puis bien m’y fier, moi. Le moyen qu’il vous faudra employer est celui-ci : Nous avons toujours à la tête de notre compagnie un capitaine et deux conseillers, qu’on change de six mois en six mois ; sans aucun doute aux calendes prochaines Buffamalcco sera capitaine et moi je serai conseiller ; c’est chose arrêtée. Celui qui est capitaine peut beaucoup pour faire recevoir qui lui plaît ; pour ce, il me semble que vous devriez, tant que vous pourrez, vous lier avec Buffamalcco, et lui faire des politesses. C’est un homme qui, vous voyant si sage, s’éprendra de vous incontinent ; et quand vous vous le serez quelque peu attaché par votre mérite et toutes les bonnes choses que vous avez, vous pourrez lui faire votre demande ; il ne saura pas vous dire non. Je lui ai déjà parlé de vous, et il vous veut le meilleur bien du monde : quand vous aurez fait ainsi, laissez-moi faire avec lui. — » Le maître dit alors : « — Ce que tu me dis me plaît fort ; s’il est homme à se plaire avec les savants, et qu’il cause un peu avec moi, je ferai si bien qu’il viendra toujours me chercher, pour ce que j’ai tant d’esprit que j’en pourrais fournir à toute une ville et que je resterais encore fort savant. — »
« La chose ayant été ainsi convenue, Bruno raconta tout à Buffamalcco ; sur quoi il semblait à Buffamalcco qu’il se passerait mille ans avant qu’on en vînt à faire ce que voulait ce maître sot. Le médecin qui désirait par-dessus tout aller en course, n’eut pas de cesse qu’il ne fût devenu l’ami de Buffamalcco, ce dont il vint facilement à bout. Il commença à lui donner les plus beaux dîners et les plus beaux déjeuners du monde, ainsi qu’à Bruno ; et ceux-ci humant les vins exquis, les gros chapons, et quantité d’autres bonnes choses, le tenaient de fort près sans se faire trop inviter ; et disant toujours qu’ils ne le feraient point pour un autre, ils