Page:Boccace - Décaméron.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est fait est fait ; il faut voir à le réparer. — » Et, en homme avisé, il vit promptement ce qu’il y avait à faire, et il le dit à Salabaetto. Le conseil plut à celui-ci, et il se décida à le suivre. Il avait encore quelque argent, et le Canigiano lui en ayant prêté quelque peu, il fit faire de nombreux ballots bien ficelés et bien emballés ; il acheta une vingtaine de barriques à huile, qu’il fit remplir ; puis, ayant chargé le tout, il s’en retourna à Palerme. Là, il donna aux douaniers la liste et le prix des barriques, et après les avoir fait inscrire toutes à son nom, il les mit en magasin, disant qu’il n’y voulait point toucher jusqu’à ce que d’autres marchandises qu’il attendait fussent arrivées.

« Blanchefleur ayant appris cela, et ayant entendu dire que ce qu’il avait présentement apporté valait bien deux mille florins d’or et plus, sans compter ce qu’il attendait et qui en valait bien plus de trois mille, pensa que ce qu’elle lui avait soutiré était peu de chose, et résolut de lui rendre les cinq cents florins, afin d’avoir la plus grande partie des cinq mille. Elle l’envoya chercher, et Salabaetto, devenu prudent, y alla. La dame, feignant de ne rien savoir de ce qu’il avait apporté, lui fit une merveilleuse fête, et dit : « — Si tu étais fâché contre moi parce que je ne t’ai pas rendu ton argent à l’époque fixée… — » Salabaetto se mit à rire et dit : « — Madame, il est vrai que cela m’a bien un peu fâché, car je me serais arraché le cœur pour vous le donner si j’avais cru vous faire plaisir ; mais je veux que vous entendiez comment je suis fâché contre vous. L’amour que je vous porte est tel, que j’ai fait vendre la plus grande partie de mes biens, et que j’ai apporté ici de la marchandise pour plus de deux mille florins, et que j’en attends du Ponant pour plus de trois mille. J’entends établir en cette ville un magasin et m’y fixer, pour être toujours près de vous, car il me semble être plus satisfait de votre amour qu’aucun autre amant puisse l’être du sien. — À quoi la dame dit : « — Vois, Salabaetto, tout ce qui t’agréera me plaît fort, comme étant l’homme que j’aime plus que ma vie, et je suis très contente que tu sois revenu ici avec cette intention, car j’espère avoir encore beaucoup de bon temps avec toi ; mais je veux un peu m’excuser de ce que tu as trouvé parfois la porte fermée quand tu as voulu venir ici, dans le temps où tu fus pour t’en aller, comme aussi de ce que tu n’y as pas été quelquefois aussi bien reçu que d’habitude, enfin de ce que je ne t’ai pas rendu ton argent au terme convenu. Tu sauras que j’étais alors plongée dans une grandissime douleur, dans une grandissime affliction, et que lorsqu’on est dans une telle disposition, quelque fortement qu’on aime les gens, on ne peut leur faire aussi bon visage, ni être aussi attentionné pour