Page:Boccace - Décaméron.djvu/550

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l’ayant rencontré lui demanda en riant : « — Biondello, comment as-tu trouvé le vin de Messer Filippo ? — » Biondello répondit : « — Eusses-tu trouvé pareilles les lamproies de Messer Corso ! — » Ciacco dit alors : — « Tiens-toi pour assuré désormais que, quand tu voudras me faire aussi bien manger que tu l’as fait, je te donnerai à boire comme tu as bu. — » Biondello qui savait qu’il n’avait rien à gagner de bon à lutter contre Ciacco, pria Dieu de faire sa paix avec lui, et depuis ce moment il se garda bien de se moquer jamais plus de lui. — »



NOUVELLE IX


Deux jeunes gens demandent conseil à Salomon, l’un pour savoir comment il pourrait être aimé, l’autre comment il pourrait corriger sa femme acariâtre. Il répond au premier d’aimer, et à l’autre d’aller au Pont aux Oies.


Il ne restait plus qu’à la reine à dire sa nouvelle, car elle voulait garder le privilège de Dioneo. Après que les dames eurent bien ri du malencontreux Biondello, elle se mit à parler ainsi d’un air joyeux : « — Aimables dames, si l’on regarde avec un esprit juste l’ordre des choses, on verra facilement que l’universelle multitude des femmes a été soumise aux hommes par la nature, par les usages et par les lois, et qu’elles doivent se gouverner et se comporter suivant la discrétion de ceux-ci. Pour ce, toutes celles qui veulent avoir paix, consolation et repos avec les hommes auxquelles elles appartiennent, doivent être humbles, patientes, obéissantes, en sus de l’honnêteté, le souverain et spécial trésor de toute dame sage. Et quand bien même les lois qui en toutes choses ont en vue le bien général, quand bien même l’habitude, je veux dire la coutume dont les forces sont grandes et dignes de respect, ne nous enseigneraient pas cela, la nature nous le montre assez clairement, car elle nous a faites de corps délicates et faibles, timides et peureuses d’esprit ; elle nous a donné peu de force corporelle, la voix douce, les mouvements gracieux, toutes choses témoignant que nous avons besoin du gouvernement d’autrui. Et quiconque a besoin d’être aidé et gouverné, la raison veut qu’il soit soumis, obéissant et respectueux envers qui le gouverne. Or, qui avons-nous pour gouverneurs et pour aides, sinon les hommes ? Donc, nous devons nous soumettre aux hommes, et les honorer en tout point ; et celle qui déroge à cette loi, j’estime qu’elle mérite non-