Page:Boccace - Décaméron.djvu/581

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bre où il y avait un grand feu et l’avoir fait asseoir, il dit : « — Madame, je vous prie, si le long amour que je vous ai porté mérite quelque récompense, qu’il ne vous déplaise point de me dire la raison qui vous a fait venir ici en pareille compagnie. » — La dame, pleine de vergogne et quasi les larmes aux yeux, répondit : « — Messire, ce n’est ni l’amour que je vous porte, ni la promesse faite qui m’amènent ici, mais l’ordre de mon mari, lequel, ayant eu plus d’égard pour les peines de votre amour désordonné que pour son honneur et le mien, m’a fait ici venir ; et, sur son ordre, je suis prête, pour cette fois, à faire selon votre plaisir. — »

« Si messer Ansaldo s’était tout d’abord étonné en entendant la dame, il s’étonna bien plus encore, et tout ému de la libéralité de Gilberto, il sentit son ardeur se changer en compassion, et il dit : « — Madame, à Dieu ne plaise, puisqu’il en est comme vous dites, que je souille l’honneur de celui qui a eu pitié de mon amour ; et pour ce, vous serez ici, si cela vous plaît, non autrement que si vous étiez ma sœur, et quand il vous agréera, vous pourrez librement partir, à la seule condition que vous rendiez à votre mari telles grâces que vous jugerez convenables pour tant de courtoisie de sa part, et que vous lui direz qu’il m’aura toujours à l’avenir pour frère et pour serviteur. — » La dame, en entendant ces paroles, plus joyeuse que jamais, dit : « — Je n’ai jamais cru, considérant vos façons d’agir, qu’autre chose dût s’en suivre de ma venue ici que ce que je vois que vous me faites, et dont je vous serai toujours reconnaissante. — » Et ayant pris congé, elle s’en retourna, accompagnée avec beaucoup d’honneurs, vers Gilberto, et lui raconta ce qui était advenu, dont il s’ensuivit entre lui et messer Ansaldo une étroite et loyale amitié.

« Le nécromancien, auquel messer Ansaldo s’apprêtait à payer le prix convenu, ayant vu la libéralité de Gilberto envers messer Ansaldo et celle de ce dernier envers la dame, dit : « — À Dieu ne plaise, qu’après avoir vu Gilberto si libéral de son honneur et vous si libéral de votre amour, je ne me montre pas moi-même libéral en ce qui concerne mon paiement ; et pour ce, reconnaissant que ce paiement est bien en vos mains, j’entends que vous le gardiez. — » Le chevalier rougit, et s’efforça de lui faire accepter tout ou partie de son salaire ; mais ce fut en vain. Trois jours après, le nécromancien ayant défait son jardin, et désirant partir, le chevalier le recommanda à Dieu, et ayant chassé de son cœur son amour sensuel pour la dame, il resta épris d’une honnête amitié pour elle.

« Que dirons-nous ici, aimables dames ? Opposerons-nous la dame presque morte et l’amour déjà refroidi par la perte