Page:Boccace - Décaméron.djvu/611

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été levées, messer Torello ne tarda point à s’apercevoir qu’ils étaient las, et après les avoir mis à reposer dans de très beaux lits, il alla lui-même dormir.

« Le familier qui avait été envoyé à Pavie, fit sa commission auprès de la dame ; celle-ci, avec une largesse d’esprit non féminine, mais royale, ayant fait sur-le-champ appeler un grand nombre des amis et des serviteurs de messer Torello, fit apprêter tout ce qu’il fallait pour un grandissime banquet, auquel elle fit, à la lueur des torches, inviter nombre des plus nobles citoyens ; elle fit prendre des draps et des soieries de toutes sortes, et faire en un mot tout ce que son mari lui avait envoyé dire. Le jour venu, les gentilshommes se levèrent ; messer Torello monta avec eux à cheval, et ayant fait venir ses faucons, il les mena à une petite rivière voisine, et leur montra comment ils volaient. Mais le Saladin ayant demandé à un de ses gens de les conduire à Pavie, dans la meilleure hôtellerie, messer Torello dit : « — Ce sera moi qui vous conduirai, pour ce que j’ai aussi besoin d’y aller. — » Ceux-ci le croyant, en furent satisfaits et se mirent en route avec lui. Vers la troisième heure, arrivés à la ville et croyant aller à la meilleure hôtellerie, ils parvinrent avec messer Torello à la maison de celui-ci, où déjà plus de cinquante des meilleurs citoyens de la ville étaient venus pour recevoir les gentilshommes, et qui aussitôt entourèrent leurs étriers et les guides de leurs montures. Ce que voyant le Saladin et ses compagnons, ils comprirent fort bien ce que c’était, et dirent : « — Messer Torello, ce n’est pas là ce que nous avons demandé ; vous en avez assez fait pour nous la nuit dernière, et plus que nous ne voulions ; pour quoi vous pouviez fort bien nous laisser continuer notre chemin. — » À quoi messer Torello répondit : « — Seigneurs, quant à ce qui vous a été fait hier soir, j’en sais gré à la fortune plus qu’à vous, car elle vous surprit en chemin de façon qu’il vous fallut venir dans mon humble maison ; pour ce qui est de ce matin, je vous en aurai obligation à vous-mêmes, et avec moi tous ces gentilshommes qui vous entourent ; s’il vous semble acte de courtoisie de refuser de déjeuner avec eux, vous pouvez le faire si vous le voulez. — »

« Le Saladin et ses compagnons vaincus par ces instances, descendirent de cheval, et ayant été joyeusement accueillis par les gentilshommes, furent menés dans les chambres qu’on avait richement préparées pour eux ; puis ayant quitté leurs habits de voyage, et s’étant rafraîchis un peu, ils vinrent dans la salle où le banquet avait été apprêté d’une façon splendide. L’eau ayant été donnée pour les mains, on se mit à table en grande cérémonie, et là ils furent servis de magnifiques et