Le conteur du Décaméron mêle sans cesse ses souvenirs à ses fictions. Tout le long de ses romans et de ses nouvelles, il égrène un chapelet de confessions voilées qui donnent du mal aux exégètes. Né à Paris, en 1313, d’un père toscan et d’une fée française — parisienne sans doute — dont nous ne savons rien, Boccace fut de bonne heure poète et trouveur. Peu doué pour les affaires, où on voulait l’obliger, encore moins pour le droit canon auquel il ne pouvait mordre, il n’avait de goût vif que pour l’amour, les belles-lettres et les livres. Épris d’indépendance, il n’a pas su s’établir dans les bonnes grâces d’un protecteur, aussi son existence n’a-t-elle jamais été tout à fait libre de soucis matériels ; il est vrai qu’il se gouvernait mal. À Naples, il fut aimé par la fille du roi, qu’il célébra dans son œuvre sous le nom de Fiammetta. Cette aventure laissa dans sa vie une nostalgie qui explique tout à la fois sa dévotion à l’amour et sa rancune envers les femmes. D’ailleurs, la misogynie et l’anticléricalisme étaient de son siècle. Si Boccace en veut au clergé de ses mœurs relâchées, il reproche d’autre part aux mystiques d’attrister le présent par leurs austérités ; mais il n’y a pas dans son cas d’irréligion, de libre pensée ni de paganisme impénitents. Ses scrupules et ses craintes l’ont bien prouvé lorsqu’un chartreux, qui mourut en odeur de sainteté, lui eut fait dire qu’il se damnait et qu’il devait sans tarder employer à l’honneur de Dieu les dons qu’il en avait reçus. Demander à Boccace de renoncer aux œuvres de l’antiquité qu’il avait contribué à répandre et aux nouvelles lettres profanes était trop exiger. Cependant il paraît certain que ce vœu d’un visionnaire mourant contribua à le détourner des histoires amoureuses et de la langue vulgaire. Ces histoires d’amour, il les avait racontées, comme ses nouvelles, avant de les écrire.