Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/16

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rien mieux, j’ai entrepris le discours de la République, et en langue populaire, 
 tant pour ce que les sources de la langue Latine sont presque taries, et qui sécheront
 du tout, si la barbarie causée par les guerres civiles continue, que pour être mieux entendu de tous Français naturels : ie de ceux qui ont un désir, et vouloir perpétuel de
 voir l’état de ce Royaume en sa première splendeur, fleurissant encore en armes et en
 lois : ou s’il est ainsi qu’il n’y eut onques, et n’y aura jamais République si excellente en 
beauté qui ne vieillisse, comme sujette au torrent de nature fluide, qui ravît toutes choses, du moins qu’on fasse en sorte que le changement soit doux et naturel, si faire ce peut
 et non pas violent, ni sanglant. C’est l’un des points que j’ai traité en cet œuvre, commençant par la famille, et continuant par ordre à la souveraineté, discourant de chacun membre de la République, à savoir du Prince souverain et de toutes sortes de
Républiques : puis du Sénat, des officiers et Magistrats, des corps et Collèges, états et communautés, de la puissance, et devoir d’un chacun. Après j’ai remarqué l’origine, accroissement, l’état fleurissant, changement, décadence, et ruine des Républiques : avec plusieurs questions politiques, qui me semblent nécessaires d’être bien entendues. Et pour la conclusion de l’œuvre, j’ai touché la justice distributive, commutative, et harmonique, montrant laquelle des trois est propre à l’état bien ordonné. En quoi, peut-être, il semblera que je suis par trop long à ceux qui cherchent la brièveté : et les autres, me trouveront trop court : car l’œuvre ne peut être si grand, qu’il ne soit fort petit pour la dignité du sujet, qui est presque infini, et néanmoins entre un million de livres que nous voyons en toutes sciences, à peine qu’il s’en trouve trois ou quatre de la République, qui toutefois est la princesse des sciences. Car Platon et Aristote ont tranché si court leurs discours Politiques, qu’ils ont plutôt laissé en appétit, que rassasié ceux qui les ont lus. Joint aussi que l’expérience depuis deux mil ans ou environ qu’ils ont écrit, nous a fait connaître au doigt et à l’œil, que la science Politique était encore de ce temps là cachée en ténèbres fort épaisses : et même Platon confesse qu’elle était si obscure qu’on n’y voyait presque rien. Et s’il y en avait quelques uns entendus au maniement des affaires d’état, on les appelait les sages par excellence comme dit Plutarque. Car ceux qui depuis en ont écrit à vue de pays, et discouru des affaires du monde sans connaissance des lois, et mêmement du droit public, qui demeure en arrière pour le profit qu’on tire du particulier, ceux-là dis-je profanent les sacrés mystères de la Philosophie politique : chose qui a donné occasion de troubler et renverser de beaux états. Nous avons pour exemple un Macciavel, qui a eu la vogue entre les couratiers des tyrans, et lequel Paul Jove ayant mis au rang des hommes signalés, l’appelle néanmoins Athéiste, et ignorant des bonnes lettres. Quant à l’Athéisme il en fait gloire par les écrits. Et quant au savoir je crois que ceux qui ont accoutumé de discourir doctement, peser sagement, et résoudre subtilement les hauts affaires d’états, s’accorderont qu’il n’a jamais sondé le gué de la science Politique, qui ne gît pas en ruses tyranniques, qu’il a recherchées par tous les coins d’Italie, et comme une douce poison coulée en son livre du Prince, où il rehausse jusque au Ciel, et met pour un Parangon de tous les Rois, le plus déloyal fils de Prêtre qui fût oncques : et lequel néanmoins avec toutes les finesses, fût honteusement précipité de la roche de tyrannie haute et glissante, où il s’était niché,