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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/17

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et enfin exposé comme un bélître à la merci, et risée de ses ennemis, comme il est 
advenu depuis aux autres Princes qui ont suivi sa piste, et pratiqué les belles règles de Macciavel : lequel a mis pour deux fondements des Républiques l’impiété, et l’injustice, blâmant la religion comme contraire à l’état. Et toutefois Polybe[1] gouverneur et Lieutenant de Scipion l’Africain, estimé le plus sage Politique son âge, 
ores qu’il fut droit Athéiste, néanmoins il recommande la religion sur toutes choses, 
comme le fondement Principal de toutes Républiques, de l’exécution des lois, de l’obéissance des sujets envers les Magistrats, de la crainte envers les Princes, de l’amitié mutuelle entre eux, et de la Justice envers tous : quand il dit que les Romains n’ont jamais rien eu de plus grand que la religion, pour étendre les frontières de leur Empire, et la gloire de leurs faits par toute la terre. Et quant à la Justice, si Macciavel eût tant soit peu jeté les yeux sur les bons auteurs, il eût trouvé que Platon intitule ses livres de la République, les livres de la Justice, comme étant icelle l’un des plus fermes piliers de toutes Républiques. Et d’autant qu’il advint à Carnéade Ambassadeur d’Athènes vers les Romains, pour faire preuve de son éloquence, louer un jour l’injustice, et le jour suivant la Justice, Caton le Censeur, qui l’avait ouï haranguer, dît en plein Sénat, qu’il fallait dépêcher, et licencier tels Ambassadeurs, qui pourraient altérer, et corrompre bientôt les bonnes mœurs d’un peuple, et enfin renverser un bel état. Aussi est-ce abuser indignement des lois sacrées de nature, qui veut non seulement que les sceptres soient arrachés des mains des méchants, pour être baillés aux bons et vertueux Prince, comme dit le sage Hébrieu : ains encore que le bien en tout ce monde soit plus fort, et plus puissant que le mal. Car tout ainsi que le grand Dieu de nature très sage et très juste, commande aux Anges, ainsi les Anges commandent aux hommes, les hommes aux bêtes, l’âme au corps, le Ciel à la terre, la raison aux appétits : afin que ce qui est moins habile à commander, soit conduit et guidé par celui qui le peut garantir, et préserver, pour loyer de son obéissance. Mais au contraire, s’il advient que les appétits désobéissent à la raison, les particuliers aux Magistrats, les Magistrats aux Princes, les Princes à Dieu, alors on voit que Dieu vient venger les injures, et faire exécuter la loi éternelle par lui établie, donnant les Royaumes et Empires aux plus sages et vertueux Prince, ou (pour mieux dire) aux moins injustes, et mieux entendus au maniement des affaires, et gouvernement des peuples, qu’il fait venir quelques fois d’un bout de la terre à l’autre, avec un étonnement des vainqueurs et des vaincus, quand je dis Justice j’entends la prudence de commander en droiture et intégrité. C’est donc une incongruité bien lourde en matière d’état, et d’une suite dangereuse, enseigner aux Princes des règles d’injustice pour assurer leur puissance, par tyrannie qui toutefois n’a point de fondement plus ruineux que celui-là. Car depuis que l’injustice armée de force prend sa carrière d’une puissance absolue, elle presse les passions violentes de l’âme, faisant qu’une avarice devient soudain confiscation, un amour adultère, une colère fureur, une injure meurtre : et tout ainsi que le tonnerre va devant l’éclair, encore qu’il semble tout le contraire : aussi le Prince dépravé d’opinions tyranniques, fait passer l’amende devant l’accusation, et la condamnation devant la preuve : qui est le plus grand moyen qu’on puisse imaginer pour ruiner les Princes, et leur état. Il y en a d’autres contraires, et droits

  1. Polyb.lin.6. de militari ac domestica Romanor.disciplina.