Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/23

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et Bascha, tant pour nettoyer la mer des autres pirates, que pour assurer son état, et le cours de la traffique. Ces moyens d’attirer les chefs 
des pirates au port de vertu, est, et sera toujours louable, non seulement afin de ne réduire point telles gens au désespoir d’envahir l’état des Princes, ains aussi pour ruiner les autres comme ennemis du genre
 humain : et quoi qu’ils semblent vivre en amitié et société partageant, 
également le butin, comme on disait de Bargule et de Viriat, néan
moins cela ne doît être appelé societé, ni amitié, ni partage en termes de droit : ains conjurations, voleries et pillages : car le principal point auquel gît la vraie marque d’amitié leur défaut, c’est à savoir le droit gouvernement selon les lois de nature. C’est pourquoi les anciens appelaient République une societé d’hommes assemblés, pour 
bien et heureusement vivre : laquelle définition toutefois a plus qu’il
 ne faut d’une part, et moins d’une autre : car les trois points principaux 
y manquent, c’est à savoir la famille, la souveraineté, et ce qui est com
mun en une République : joint aussi que ce mot heureusement, ainsi
qu’ils entendaient n’est point nécessaire : autrement la vertu n’aurait au
cun prix si le vent ne soufflait toujours en poupe : ce que jamais homme
de bien n’accordera : car la République peut être bien gouvernée, et se
ra néanmoins affligée de pauvreté, délaisse des amis, assiégée des ennemis, et comblée de plusieurs calamités : auquel état Cicéron même 
confesse avoir vue tomber la République de Marseille en Provence, 
qu’il dit avoir été la mieux ordonnée, et la plus accomplie qui fût onques 
en tout le monde sans exception : et au contraire il faudrait que la République fertile en assiette, abondante en richesses, fleurissant en hommes, révérée des amis, redoutée des ennemis, invincible en armes, puissante 
en châteaux, superbe en maisons, triomphante en gloire, fût droite
ment gouvernée, ores quelle fût débordée en méchancetés, et fondue en tous vices. Et néanmoins il est bien certain que la vertu n’a point d’ennemi plus capital, qu’un tel succès qu’on dit très heureux : et 
qu’il est presque impossible d’accoler ensemble deux choses si contraires. Par ainsi nous ne mettrons pas en ligne de compte, pour définir la Ré
publique, ce mot heureusement : ains nous prendrons la mire plus haut 
pour toucher ou du moins approcher au droit gouvernement : toute
fois nous ne voulons pas aussi figurer une République en idée sans effets, 
telle que Platon, et Thomas le More chancelier d’Angleterre ont imaginé, mais nous contenterons de suivre les règles Politiques au plus près
 qu’il sera possible : en quoi faisant on ne peut justement être blâmé, 
encore qu’on n’ait pas atteint le but où l’on visait, non plus que le maître pilote transporté de la tempête, ou le médecin vaincu de la maladie, 
ne sont pas moins estimés, pourvue que l’un ait bien gouverné son ma
lade, et l’autre son navire. Or si la vraie félicité d’une République, et d’un homme seul est tout un, et que le souverain bien de la République