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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/24

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en général aussi bien que d’un chacun en particulier, gît ès vertus intellectuelles, et contemplatives, comme les mieux entendus[1] ont résolu : il faut aussi accorder que ce peuple là jouît du souverain bien quand 
il a ce but devant les yeux, de s’exercer en la contemplation des choses
 naturelles, humaines, et divines, en rapportant la louange du tout au grand
 prince de nature. Si donc nous confessons que cela est le but principal 
de la vie bien heureuse d’un chacun en particulier, nous concluons aussi
 que c’est la fin et félicité d’une République, mais d’autant que les hommes d’affaires, et les Princes, ne font jamais tomber d’accord pour ce regard, chacun mesurant son bien au pied de ses plaisirs et contentements : et que ceux qui ont eu même opinion du souverain bien d’un particulier, n’ont pas toujours accordé que l’homme de bien, et le bon citoyen soit tout un : ni que la félicité d’un homme, et de toute la République fût pareille : cela fait qu’on a toujours eu variété de lois, de
 coutumes, et desseins, selon les humeurs et passions des Princes et gouverneurs. Toutefois puisque l’homme sage est la mesure de justice et de vérité : et que ceux là qui sont réputés les plus sages, demeurent 
d’accord, que le souverain bien d’un particulier, et de la République n’est qu’un, sans faire différence entre l’homme de bien, et le bon citoyen, 
 nous arrêterons là le vrai point de félicité, et le but principal auquel
se doit rapporter le droit gouvernement d’une République : c’est que 
Aristote a doublé d’opinion, et tranché quelques fois le différend des 
parties par la moitié, couplant tantôt les richesses, tantôt la force et la santé avec l’action de vertu, pour s’accorder à la plus commune opinion des hommes : mais[2] quand il en dispute plus subtilement, il met le comble de félicité en contemplation. Qui semble avoir donné occasion Marc Varron de dire, que la félicité des hommes est mêlée d’action, et de contemplation : et sa raison est à mon avis, que d’une chose simple, la félicité est simple, et d’une chose double, composée de parties diverses, la félicité est double : comme le bien du corps gît en santé, force, 
allégresse, et en la beauté des membres bien proportionnés : et la félicité 
de l’âme inférieure, qui est la vraie liaison du corps et de l’intellect, gît en l’obéissance que les appétits doivent à la raison : c’est à dire en l’action des vertus morales : tout ainsi que le souverain bien de la partie in
tellectuelle, gît aux vertus intellectuelles : c’est à savoir en prudence, science, et vraie religion : l’une touchant les choses humaines, l’autre les 
choses naturelles : la troisième les choses divines : la première montre 
la différence du bien et du mal, la seconde du vrai et du faux, la troisième de la piété et impiété, et ce qu’il faut choisir et fuir : car de ces trois se compose la vraie sagesse, où est le plus haut point de félicité en ce mon
de. Aussi peut-on dire par comparaison du petit au grand que la République doit avoir un territoire suffisant, et lieu capable pour les habitants, la fertilité d’un pays assez plantureux, et quantité de bétail pour la nourriture

  1. Aristotel. lib.7. cap.3. & 15. polit. & lib.10. ethic ad Nicomach.
  2. lib.10. ethic Nico. & 7. politic.