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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/27

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ment, si l’âme est si fort ravie en contemplation, qu’on en perde le boire
 et le manger. Mais tout ainsi qu’en ce monde, qui est la vraie image de 
la République bien ordonnée, et de l’homme bien réglé, on voit la lune 
comme l’âme, s’approcher du Soleil, laissant aucunement la région élémentaire, qui ressent un merveilleux changement, pour le déclin de cette lumière, et tout après l’accouplement du Soleil, se remplir d’une vertu céleste, qu’elle rend à toutes choses : aussi l’âme de ce petit monde étant par fois ravie en contemplation, et aucunement unie à ce grand Soleil intellectuel, elle s’enflamme d’une clarté divine, et force émerveillable, et d’une vigueur céleste fortifiant le corps, et les forces naturelles. Mais si l’âme s’adonne par trop au corps, et s’enivre des plaisirs sensuels, sans rechercher le soleil divin, il lui en prend tout ainsi que à la lune, quand elle s’enveloppe du tout en l’ombre de la terre. Qui lui ôte sa lumière, et sa force, et produit par ce défaut plusieurs monstres. Et néanmoins si elle demeurait toujours unie au Soleil, il est bien certain que le monde élémentaire périrait. Nous ferons même jugement de la République bien ordonnée, la fin principale de laquelle, gît aux vertus contemplatives, iaçoit que les que les actions politiques soient préalables et les moins illustres soient les premières : comme faire provisions nécessaires, pour entretenir, et défendre la vie des sujets : et néanmoins telles actions se rapportent aux morales, et celles-ci aux intellectuelles, la fin desquelles est la contemplation du plus beau sujet qui soit, et qu’on puisse imaginer. Aussi voyons nous que Dieu a laissé six jours pour toutes actions, étant la vie l’homme sujette pour la plus-part à icelles : mais il a ordonné que le septième qu’il avait béni sus tous les autres serait chômé, comme le saint jour du repos, afin de l’employer[1] en la contemplation de ses œuvres de sa loi, et de ses louanges. Voilà quant à la fin principale des Républiques bien ordonnées, qui sont d’autant plus heureuses, que plus près elles approchent de ce but : car tout ainsi qu’il y a plusieurs degrés de félicité, les unes plus, les autres moins, selon le but que chacune se propose pour imiter : comme on disait[2] des Lacédémoniens, qu’ils étaient courageux, et magnanimes, et au reste de leurs actions injustes : par ce que leur institution, leurs lois, et coutumes, n’avaient autre but devant les yeux, que rendre les hommes courageux, et invincibles aux labeurs et douleurs, méprisant les plaisirs et délices. Mais la République des Romains a fleuri en justice, et surpassé celle de Lacédémonne, par ce que les Romains n’avaient pas seulement la magnanimité, ains aussi la vraie justice leur était un comme un sujet, auquel ils adressaient toutes leurs actions. Il faut donc s’efforcer de trouver les moyens de parvenir ou approcher de la félicité que nous avons dit, et à la définition de la République que nous avons posée.

  1. Psal.3
  2. Plato.