Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/31

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blic. Il se peut faire aussi que la plupart des héritages soient communs à tous en général, et la moindre partie propre à chacun en particulier. Comme en la division du territoire, que Romule occupa au tour de la ville de Rome qu’il avait fondée, tout le plat pays n’avait en pourpris que dix-huit mil journaux[1] de terre, qu’il divisa en trois parties égales : assignant un tiers pour les frais des sacrifices, l’autre pour le domaine de la Republique, le reste fut parti à trois mil citoyens, ramassés de toutes pièces, à chacun des deux journaux : lequel partage demeure long temps en quelque contrepoids d’égalité : car même le dictateur Cincinat, deux cent soixante ans après, n’avait[2] que deux journaux que lui même labourait. Mais en quelque sorte qu’on divise les terres, il ne se peut faire que tous les biens soient communs, comme Platon voulait en sa première Republique, jusque aux femmes et enfants, afin de bannir de sa cité ces deux mots tien et mien, qui étaient à son avis, cause de tous les maux et ruines qui adviennent aux Republiques. Or il ne jugeait pas que si cela avait lieu, la seule marque de Republique serait perdue : car il n’y a point de chose publique, s’il n’y a quelque chose de propre : et ne se peut imaginer qu’il y ait rien commun, s’il n’y a rien particulier : non plus que si tous les citoyens étaient Rois, il n’y aurait point de Roi : ni d’harmonie aucune, si les accords divers, doucement entremêlés, qui rendent l’harmonie plaisante, étaient réduits à même son. Combien que telle Republique, serait directement contraire à la loi de Dieu et de nature, qui déteste non seulement les incestes, adultères, et parricides inévitables, si les femmes étaient communes : ains aussi de ravir, ni même de convoiter rien qui soit d’autrui. Où il appert évidemment, que les Republiques sont aussi ordonnées de Dieu, pour rendre à la Republique, ce qui est public, et à chacun ce qui lui est propre : joint aussi que telle communauté de toutes choses, est impossible, et incompatible avec le droit des familles. Car si la famille et la cité, le propre et le commun, le public et le particulier sont confus, il n’y a ni Republique, ni famille. Aussi Platon excellent en toute autre chose, après avoir vu les inconvénients et absurdités notables, que tirait après soi telle communauté, s’en est sagement départi : renonçant taisiblement à la première Republique, pour donner lieu à la seconde. Et quoi qu’on dise des Massagètes, que tout leur était commun, si est-ce qu’ils avaient la coupe, et le couteau, chacun à part soi, et, par conséquent les habits, et vêtements. Autrement toujours le plus fort eût dérobé le plus faible lui ôtant ses robes, lequel mot signifie assez en notre langue, que les vêtements ont toujours été propres à chacun, étant celui qui dérobe appelé larron. Tout ainsi donc que la Republique est un droit gouvernement de plusieurs familles, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine : aussi la famille est un droit gouvernement de plusieurs sujets sous l’obéissance d’un chef de famille, et de ce qui lui est propre. Et en cela gît la vraie différence de la Repu-

  1. Dionys. halycarnass. lib. 2.
  2. Plin. lib. 7.