Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/32

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blique & de la famille. Car les chefs de famille ont le gouvernement d
e ce qui leur est propre : encores que chacune famille soit bien souvent, &
 quasi par tout obligee, d’apporter, & contribuer quelque chose du par
ticulier en commun, soit par forme de tailles, ou de péages, ou d’imposts 
extraordinaires. Et ce peut faire que touts les sugets d’une République
 viveront en commun, comme il se faisoit anciennement en Crete, & en Lacedemone, où les chefs de famille vivoient en compagnies de xv ou xx. & les femmes en leurs mesnages, & les enfans ensemble. Et mesmes
 en la Republique ancienne de Candie, touts les citoyens, hommes & femmes, jeunes & vieux, riches & pauvres mangeoyent & beuvoyent tousjours ensemble : & neantmoins chacun avoit ses biens à part, & contribuoit chacun en commun pour sa despense : ce que les Anabaptistes vouloyent pratiquer, & commencèrent en la ville de Munstre : à la charge que tous biens seroient communs, hormis les femmes, & les vestements : pensans mieux entretenir l’amitié, & concorde mutuelle entre
 eux : mais ils se trouverent bien loin de leur compte : car tant s’en faut que 
ceux là qui veulent que tout soit commun, ayent osté les querelles & inimitiez, que mesmes ils chassent l’amour d’entre le mari & la femme, l’af
fection des peres envers les enfans, la reverence des enfans envers les pères, & la bienveillance des parens entr’eux, ostant la proximité de sang, 
qui les unit d’un plus estroit lien qui peut estre. Car on sçait assez qu’il n’y a point d affection amiable, en ce qui est commun à touts : & que la com
munauté tire après soy tousjours des haines & querelles, comme dit la
 loy[1]. Encores plus s’abusent ceux là, qui pensent que par le moyen de la communauté, les personnes & les biens communs seroient plus soigneusement traitez : car on voit ordinairement les choses communes & publiques meſprisees[2] d’un chacun, si ce n’est pour en tirer quelque profit en particulier : d’autant que la nature d’amour est telle, que plus elle
 est communes, & moins a de vigueur : & tout ainsi que les gros fleuves, 
qui portent les grands fardeaux, estans divisez ne portent rien du tout : 
aussi l’amour espars à toutes personnes, & à toutes choses, perd sa force
 & sa vertu. Or le mesnage, & droit gouvernement d’iceluy fait la discretion & division des biens, des femmes, des enfans, des serviteurs, d’une 
famille à l’autre, & de ce qui est propre en particulier, à ce qui leur est
commun en général, c’est a dire au bien public. Et mesmes les magistrats en toute Republique bien ordonnee, ont soin & souci du bien particulier des orphelins, des insensez, & des prodigues : comme chose
 qui touche & concerne[3] le public, affin que les biens soient conservez à 
qui ils appartiennent, & qu’ils ne soient dissipez : comme en cas pareil
 les loix souvent font defense d’aquerir, ou d’aliener, ou hipothequer son
 bien, sinon à certaines conditions, & à certaines personnes : car la conservation des biens d’un chacun en particulier, est la conservation du bien 
public : mais les loix sont publiques, & communes, & dependent seule-

  1. l. cum pater. §. dulciſſimis de legat. 2. l. 2 quando & quibus quarta pars C. l. in re cõmuni. vrbanorum prædior. l. fancim9 § ſin autem, de donat. C l. lucius. §. caius, de legat. 2.
  2. l. 2. quando & quibus quarta C.
  3. 3. l. 1. detutel, ff.l. ius dandi. cod.