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L e droit gouvernement du père et des enfants gît à bien
 user de la puissance que Dieu a donné au père sur ses enfants propres, ou la loi sur les enfants adoptés, et en l’obéissance, amour, et révérence des enfants envers les pères. Le mot de puissance, est propre à tous ceux qui ont pouvoir de commander autrui. Ainsi le prince, dit Seneque, commande aux sujets, le magistrat aux citoyens, le père aux enfants, le maître aux disciples, le capitaine aux soldats, le seigneur aux esclaves. Mais de tous ceux là, il n’y en a pas un à qui nature donne aucun pouvoir de commander, et moins encore d’asservir autrui, hormis au père, qui est la vraie image du grand Dieu souverain, père universel de toutes choses, comme disait Procle Academicien. Aussi Platon ayant en premier lieu articulé les lois qui touchent l’honneur de Dieu, il dit que c’est une préface de la révérence que l’enfant doit au père, duquel après Dieu il tient la vie, et tout ce qu’il peut avoir en ce monde. Et tout ainsi que la nature oblige le père à nourrir l’enfant, tant qu’il est impuissant, et l’instruire en tout honneur et vertu : aussi l’enfant est obligé, mais beaucoup plus étroitement, d’aimer, révérer, servir, nourrir le père, et ployer sous ses mandements en toute obéissance, supporter, cacher, et courir toutes les infirmités et imperfections, et n’épargner jamais ses biens ni son sang, pour sauver, et entretenir la vie de celui duquel il tient la sienne. Laquelle obligation ores qu’elle soit scellée du sceau de nature, voire qu’elle porte exécution parée, si est-ce toutefois pour montrer combien elle est grande, il n’y en a point de plus certain argument, que le premier commandement[1] de la seconde table, et seul en tous les dix articles du décalogue qui porte son loyer[2] : combien qu’il n’est dû aucun loyer à celui qui est obligé de faire quelque chose, mêmement par obligation si étroite, que toutes les lois divines[3] et humaines en sont pleines. Au contraire nous lisons que la première malédiction qui soit en la bible[4], est celle qui fut donnée à Cham, pour n’avoir pas couvert la honte de son père. Et non sans cause les enfants anciennement étaient si jaloux[5] les uns des autres à qui emporterait la bénédiction du père, craignant plus la malédiction que la mort. Et de fait le jeune Torquatus[6] étant chassé de la maison de son père, se tua de regret. C’est pourquoi Platon[7] disait qu’il faut bien surtout prendre garde aux malédictions et bénédictions que les pères donnent aux enfants : et qu’il n’y a prière que Dieu plus volontiers exauce que celle du père envers ses enfants. Si donc les enfants sont si étroitement obligés à servir, aimer, obéir et révérer les pères et mères, quelles peines méritent ceux-là qui sont désobéissants, irrévérents, injurieux ? Quel supplice peut être assez grand à celui qui frappe le père ou la mère ? Car quant au meurtrier du père, ou de la mère, il ne s’est jamais trouvé juge, ni législateur qui sût imaginer tourments suffisants pour un cas si exécrable, quoi la loi Pompeia[8] des Parricides, ait

  1. Exodi. 21. Deuterono. 5.
  2. Deuteron. 11. & 22.
  3. Ezechiel 22.
  4. Genes. 7.
  5. Genes. 17.18
  6. Valer. max. lib 2
  7. In lib. de legib.
  8. l.1. ad l. pompeian.