Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/42

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ordonné un tourment plus étrange, que digne d’un tel crime : et encore que nous en ayons vu un de notre mémoire, qui a été tenaillé, puis rompu sur la roue, et enfin brûlé : si est-ce qu’il n’y avait homme qui n’eût plus d’horreur de sa méchanceté, que de frayeur de sa peine, et qui ne confessât qu’il méritait plus qu’il ne souffrait. Aussi le sage Solon interrogé pourquoi il avait oublié la peine du Parricide, fit réponse, qu’il ne pensait pas qu’il y eût homme si détestable, qui voulût commettre un acte si méchant[1]. Qui était sagement répondu. Car le sage législateur ne doit jamais faire mention d’un crime, qui n’est point, ou bien peu connu, affin qu’il ne donne exemple aux méchants d’en faire l’essai. Mais si le crime est grand, et exécrable, il ne doit pas le couler par souffrance, ni le montrer aussi au doigt et à l’œil : ains par circonstances, et peines qui en approchent. Comme nous voyons la loi de Dieu n’avoir établi aucune peine au meurtrier du père ou de la mère, ni même à celui qui a frappé l’un ou l’autre (comme la loi de Servia[2], qui condamne à mort pour tel crime) mais elle donne plein pouvoir, et puissance au père, et à la mère de lapider l’enfant désobéissant, et veut qu’ils en soient crus, et que l’exécution se fasse en présence du juge, et sans qui lui soit permis de s’enquérir de la vérité, ni d’en prendre aucune connaissance. Car en ce faisant, l’enfant n’était pas tué en colère, comme il peut advenir, ni en secret, pour couvrir le déshonneur de la maison, ainsi que nous voyons en nos lois un père avoir tué son fils à la chassé, pour avoir incestué sa belle mère : c’est, dit la loi[3], tuer en voleur : car le principal fruit de la peine, est qu’elle soit exemplaire à tous. L’autre article de la loi[4] de Dieu veut que l’enfant qui aura médit au père, ou à la mère, soit exécuté à mort : et en donne la connaissance aux juges, ne laissant pas la peine à la discrétion des pères et mères, afin que le crime ne demeure impuni. Car l’amour du père et de la mère est si ardent envers leurs enfants, qu’ils ne voudraient pas que la justice en eût jamais la connaissance, encore que leurs enfants les eussent frappés à mort : comme de fait il advint à Châtillon sur Oing l’an M.D.LXV. que le père ayant reçu un coup d’épée à travers le corps par son fils, lui voulant donner un soufflet, il ne cessa de crier après son fils, jusqu’à la mort qu’il s’ensuit, craignant qu’il tombât entre les mains de justice, et qu’il fût exécuté à mort, ainsi qu’il fût les pieds pendus contre mont quelque temps, et une pierre au col, et puis brûlé tout vif, renonçant à l’appel par lui interjeté de la sentence. Qui montre assez l’étrange et violente passion d’amour du père envers ses enfants. Nous en avons aussi de notre temps un exemple de la mère, qui aimait mieux souffrir être méprisée, injuriée, battue, frappée et foulée aux pieds par son propre fils que de s’en plaindre au juge, qui laissait tout cela impuni, jusqu’à ce qu’il eût fait ses ordures au potage de sa mère (il faut que la postérité sache cette vilénie) alors le juge condamna le fils à faire amende honorable, et requérir pardon à

  1. Cicero. pro Roscio perduel.
  2. lex Servia his verbis concepta est apud Festun Pomp. Si parentem puer verberit, ast olle plorassit parentes, puer divis sacer esto. ast, inquit, pro certé : plorassit, proclamarit id est capitale supliciem irrogandum ei est eatenus ut lachrimæ, vox & clamor meritum dolorem testificentur.
  3. l. divus. ad l. Pompeiam de parricid.
  4. Levit. 20. Deutero. 27. Exod. 21.