Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des héritages, demeurant les huissiers, sergents, magistrats, et tout le peuple étonné, sans oser lui faire aucune réticence, encore que le peuple voulût à toute force qu’on publiât la loi. Qui montre non seulement que cette puissance paternelle était comme sacrée et inviolable, ains aussi que le père pouvait à tort ou à droit disposer de la vie, et de la mort de ses enfants, sans que les magistrats en puissent prendre connaissance. Car combien que le Tribun Pomponius[1] eût chargé Torquat envers le peuple de plusieurs chefs d’accusation, et entre autres qu’il grevait par trop son fils à cultiver la terre : si est-ce néanmoins, que le fils même alla trouver le Tribun en son lit, et lui mettant la dague sur la gorge, lui fît jurer qu’il se désisterait de la poursuite qu’il faisait contre son père. Le Tribun pria le peuple de l’excuser pour le serment qu’il avait fait. Le peuple ne voulut point qu’on passât outre. Par ces deux exemples, on peut juger que les Romains faisaient plus d’état de la puissance paternelle, que des lois même qu’ils appelaient sacrées, par lesquelles la tête de celui était vouée à Jupiter qui aurait seulement attenté de toucher[2] au Tribun pour l’offenser. Car ils tenaient que la justice domestique, et puissance paternelle, était un très sûr fondement des lois, de l’honneur, de la vertu, et de toute piété. Aussi nous trouvons les rares et beaux exemples de piété envers les pères et mères en la République Romaine, qui ne se trouvent point ailleurs. J’en ai marqué un entre mil, j’en mettrai encore un autre, que tous les peintres du monde ont pris pour embellir leur science, c’est à savoir de la fille qui allaitait le père condamné à mourir de l’ancienne peine ordinaire de famine, qui ne souffre jamais[3] l’homme sain passer le septième jour : le geôlier ayant épié cet acte de piété, en avertit les magistrats, et le fait étant rapporté au peuple, la fille obtint la grâce pour la vie du père. Combien que les bêtes sans raison nous enseignent assez ce devoir naturel témoins la Cigogne, que la langue sainte qui nomme les choses selon leur propriété cachée, appelle Chasida[4], c’est à dire débonnaire et charitable, d’autant qu’elle nourrit ses père et mère en vieillesse. Et combien que le père soit tenu enseigner et instruire ses enfants, mêmement en la crainte de Dieu, si est-ce néanmoins s’il n’a fait son devoir, l’enfant n’est pas excusé du sien, quoique Solon par ses lois eût acquitté les enfants de nourrir leurs pères s’ils ne leurs avaient pas appris un métier pour gagner leur vie. Il n’est pas besoin d’entrer en cette dispute où il est principalement question de la puissance paternelle, de laquelle l’un des plus grands biens qui en résultait anciennement était la droite nourriture des enfants. Car la justice publique, ne prend jamais connaissance du mépris, désobéissance, et irrévérence des enfants envers le père et mère, ni pareillement des vices, que la licence débordée apporte à la jeunesse en excès d’habits, d’ivrognerie, paillardise, jeux de hasard, ni même de plusieurs crimes sujets à la juridiction publique, que les parents n’osent dé-

  1. Valer. max. lib.4.
  2. Dionys. halycat. lib.7. & Livius lib.3.
  3. Plin. lib.
  4. Levitici. 11. Job.39.חםירה pia misericords.