Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/45

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couvrir, et néanmoins la puissance de les punir leur est ôtée, ni de les pouvoir empêcher : car les enfants n’ayant aucune crainte des parents, et de Dieu encore moins, se garantiront assez des magistrats, la plupart desquels ne punît ordinairement que les belîtres. Or il est impossible que la République vaille rien, si les familles qui sont les piliers d’icelle, sont mal fondées. Davantage tous les procès, querelles, et différents, qui sont ordinaires entre les frères et sœurs, étaient tous éteint et assoupis, tant que le père vivait, car les mariages ne lui ôtaient point la puissance et encore qu’il eût émancipé, ceux qui se mariaient et sortaient de sa maison pour tenir ménage à part, ce qu’ils ne faisaient pas aisément, néanmoins la révérence et crainte du père leur demeurait toujours. C’est une des causes principales d’où viennent tant de procès : car on ne voit les magistrats empêchés, qu’à vider ceux qui se provignent, non seulement entre le mari et la femme, ains aussi entre les frères et sœurs, et qui plus est entre les pères et les enfants. Or la puissance paternelle étant peu à peu lâchée sur le déclin de l’empire Romain, aussitôt après s’évanouît l’ancienne vertu, et toute la splendeur de leur République, et au lieu de piété, et de bonnes mœurs, il s’ensuivit un million de vices et de méchancetés. Car la puissance paternelle de la vie, et de la mort, fût ôtée peu à peu par l’ambition des magistrats, pour attirer tout à leur connaissance, et cela advint après la mort d’Auguste, depuis lequel temps on n’était quasi empêché qu’à punir les parricides : comme nous lisons en Seneque[1], lequel adressant sa parole à Néron, On a plus vu, dit-il, punir de Parricides en cinq ans sous le règne de votre père, que jamais on n’avait vu depuis la fondation de Romme. Or il est bien certain que pour un Parricide qu’on punît, il s’en commet dix, étant la vie du père et de la mère exposée à mil morts, si la bonté de nature, et la crainte de Dieu ne retient les enfants. Et ne se faut pas émerveiller si Neron ne fit point de conscience de tuer, ni de repentance d’avoir tué sa mère, car c’était alors un crime tout commun : mais Seneque ne dit pas la cause, c’est à savoir qu’il fallait[2] que le père pour châtier l’enfant, allât au magistrat l’accuser, ce que jamais les anciens Romains n’avaient souffert. Et même le Senateur Fulvius du temps de Ciceron, fit mourir son fils, pour avoir eu part à la conjuration de Catalina, de sa pleine puissance[3]. Et encore du temps d’Auguste, le Senateur Tarius fit le procès à son fils d’un crime capital, et appela Auguste pour venir en sa maison lui donner conseil, en qualité de particulier, et ne se mit pas dit Seneque en la place du Juge. Aussi voyons nous que par le loi Pompeia[4] des parricides, tous les parents sont compris sous la peine de la loi hormis le père. Mais il appert assez que du temps d’Ulpian, et de Paul Jurisconsultes, les pères n’avaient plus telle puissance de la vie et de la mort : car l’un[5]dit que le père doit accuser le fils devant le magistrat : l’autre que les enfants n’ont que plaindre, si le père les déshérite, attendu qu’ils pouvaient

  1. lib.1. de clementia.
  2. l. inauditum ad l. cornel. desicar.
  3. Salust in bello Catilin.
  4. l.1. ad l. Pompeian
  5. l. inauditum. ad l. cor. de sicar.