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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/694

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DE LA RÉPUBLIQUE
DE LA COMPARAISON DES TROIS RÉPUBLIQUES
publiques légitimes, c’eſt à ſçauoir de l’eſtat populaire, Ariſtocratique
& royal, & que la puiſſance royale est la meilleure.


CHAP. I.



P uisqu’il n’y a que trois sortes de Republiques, ainsi que nous avons monstré, c’est à sçavoir quand tout le peuple, ou la plus grande partie, commande avect puissance souveraine : ou bien la moindre partie : ou un seul : & que chacune des trois peut estre loüable, 
ou vicieuse, il ne faut pas seulement fuyr la plus vicieuse, ains aussi choisir, qui pourra, la meilleure. La tyrannie d’un Prince est pernicieuse : & de plusieurs encore pire : mais il n’y a point de plus dangereuse tyrannie que celle de tout un peuple. Ainsi l’appelle[1] Ciceron. Toutesfois elle n’est point encores si mauvaise que l’Anarchie, où il n’y a forme de Republique, ny personne qui commande, ou qui obeisse. Fuyons 
donc ces vices là, & faisons chois de la meilleure des trois formes legitimes, c’est à sçavoir de l’estat legitime populaire, ou Aristocratique, ou 
royal. & affin que le tout soit mieux esclarci, je mettray les commoditez, & incommoditez, de part & d’autre. Premierement on peut dire que l’estat populaire est le plus loüable, comme celuy qui cherche une égalité, & droicture en toutes loix, sans faveur ny acception de personne : & qui reduist les constitutions civiles aux loix de nature : car tout ainsi que nature n’a point distribué les richesses, les estats, les honneurs aux uns plus qu’aux autres : aussi l’estat populaire tend à ce but là, d’esgaler tous les hommes. Ce qui ne peut estre fait, sinon en esgallant les biens, les honneurs, & la Justice à tous, sans privilege, ny prerogative quelconque : comme fist Lycurgue apres avoir changé l’estat Royal en populaire, bruslé toutes obligations, banni l’or & l’argent, & partagé les terres au sort esgal : alors il print grand plaisir, voyant par les champs les tas de gerbes tous esgaux : & par ce moyen l’avarice des uns retranchee, & l’arrogance des autres ravalee : qui sont deux pestes des plus pernicieuses qui soyent aux Republiques. Combien que par ce moyen il bannissoit encores les rapines, larcins, concussions, calumnies, partialitez, & factions, qui ne peuvent avoir lieu, quand tous sont esgaux, & que l’un ne peut avoir aucun avantage sus l’autre. Et s’il est ainsi que la société humaine ne le peut entretenir que par amitié : & que la nourrice d’amitié est l’equalité, & qu’il n’y a point d’equalité hors l’estat populaire, il s’ensuit bien que c’est la plus belle forme de Republique qu’on pourroit choisir. En quoy faisant la liberté naturelle, & la Justice esgale est tousjours renduë à chacun, sans crainte de tyrannie, de cruauté, d’exaction : & la douceur de la vie sociable à tous semble reduire les hommes à la felicité que nature nous monstre. Mais

  1. 1. In lib. de Repub. & Aristot. lib.5.cap.10.polit.