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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/695

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encores il y a un point qui semble fort considerable, pour monstrer que
 l’estat populaire est le plus beau, le plus digne, & le plus parfaict : c’est 
qu’il y a tousjours eu és démocraties de plus grands personnages, en
 armes, & en loix : & de plus grands orateurs, jurisconsultes, artisans, qu’il n’y a és autres Republiques, ou la faction de peu de seigneurs entr’eux, & la jalousie d’honneur d’un Monarque empesche les
 sugets de rien attenter de grand. Et qui plus est, il semble que la vraye 
marque de Republique, est en l’estat populaire seulement : car tout le
peuple joüist du bien public, partageant à chacun les biens communs, 
les despoüilles, les loyers, les conquestes : au lieu que peu de seigneurs en l’Aristocratie, & un seul en la Monarchie semble tourner tout le bien public en particulier. Brief s’il n’y a rien plus à desirer, que les Magistrats soyent obeissans aux loix, les sugets aux Magistrats, il semble aussi que
 cela soit mieux gardé en l’estat populaire, où il n’y a que la loy qui soit 
dame, & maistresse de tous. Voila les principaux points qu’on peut dire 
pour soustenir l’estat populaire, qui ont beau lustre en apparence, mais 
en effect ces raisons semblent aux toiles des araignes, qui sont bien fort 
subtiles & deliees, & toutesfois n’ont pas grande force, Car en premier
 lieu, il n’y eut jamais de Republique, où cette equalité de biens, & d’honneurs fust gardee, comme nous avons monstré cy dessus.Raisons contraires à l’estat populaire. Quant aux biens & quant aux honneurs, on seroit aussi contre la loy de nature, qui a fait les uns plus sages, & plus ingenieux que les autres, a aussi ordonné les uns pour gouverner, & les autres pour obeir. Et quant à la liberté naturelle, qu’on presche tant en l’estat populaire, si elle avoit lieu, il n’y auroit ny
 magistrats, ny loix, ny forme d’estat quelconque : & neantmoins il n’y a pas une forme de Republique, qui ayt tant de loix, tant de magisters, tant
 de contrerolleurs que l’estat populaire. Et quant au bien public, il est 
tout certain qu’il n’y a Republique où il soit plus mal gouverné, que par
 le peuple, comme nous avonss monstré en son lieu. Mais veut on meilleur jugement, ou tesmoignage plus digne que celuy de[1]Xenophon ? Je ne puis, dit-il, approuver l’estat des Atheniens : parce qu’ils ont suivi la for
me de République en laquelle tousjours les plus meschans ont du meilleur, & les hommes d’honneur, & de vertu, sont foulez aux pieds. Si Xenophon, qui a esté l’un des plus grands capitaines de son age, & qui lors
 emporta le prix d’honneur, d’avoir heureusement conjoint le maniment
 des affaires, avec les armes, & la philosophie, à fait un tel jugement de sa 
République, qui estoit la plus populaire, & entre les populaires la plus
 estimee, & la mieux establie, ou pour mieux dire la moins vicieuse, com
me dit Plutarque, quel jugement eust-il fait des autres Démocraties, & Ochlocraties ? En quoy[2]Macciavel s’est bien fort mesconté, de dire que
 l’estat populaire est le meilleur : & neantmoins ayant oublié sa premiere opinion, il a tenu en un autre[3] lieu, que pour restituer l’Italie en sa liberté, 
il faut qu’il n’y ait qu’un Prince, & de fait, il s’est efforcé de for-

  1. in lib. de Repub. Athen.
  2. sus les discours.
  3. lib.I du prince, chap.9.