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Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/770

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6. de l’an ijji.Ic
u.Iuin.auxque
loyers des
artifans750tDE LA REPVBLI Q^y Eeft dit,que les condamnez payeront les interefts des fommes deuës au
denier douze pour le regard des marchans, & au denier xv. à toutes au¬
tres perfonnes,hormis aux laboureurs vignerons, ôc mercenaires, auf
quels les condamnez payeront le double de la fomme en laquelle ils fe
trouuerontcondamnez:quin eft point pratiquée pour le dernier chef
parce quil n y a point diftin&ion fi le condamné eft noble, marchand,
preftre.ou artifantencores que l'ordonnance ne fe peut eftendre aux la¬
boureurs & mercenaires condamnez. Mais il y a bien plus grande ine-
qualité en l’ordonnance de Venize,6 qui defend de prendre intereft,ny
en fruits,ny en argent,plus haut que fix pour cent:aufli n’eft elle pas gar¬
dee,ny en public, ny en particulier. Et quant aux conuentions particu¬
lières , iaçoit que la proportion d’equalité y foit plus grande, fi n’eft elle
pas toufiours gardee : car mefmes les artifans, par vne raifon naturelle,
iugent bien qu’il faut prendre moins du pauure, que du riche pour leur
falaire : iaçoit qu’ils ayent autant de peine pour l’vn que pour l’autre, le
Proportion chirurgien qui prendra cinq cens efcus d’vn homme riche pour le tail-
harmoni- 1er > n’en prendra du faquin pas plus de cinq: ôc neantmoins il prend en
effed dix fois plus du pauure que du riche, car ceftui-cy qui a cinquan¬
te mil efcus en bien,nen paye que la centiefme partie :& le pauure qui
n’a que cinquante efcus valant,en paye cinq,qui eft la dixiefme. ôc fi on
vouloit exa&ement garder la proportion geometrique, ou arithméti¬
que,le patient mourroit delà pierre ôc le chirurgien de faim; & en tenat
la médiocrité harmonique, l’vn ôc l’autre s’en trouue bien , ôc les pau¬
ures s’entretiennent auec les riches.Et mefmes les luges font contraints
pour leur falaire en vfer ainfi: ôc le peuuent faire, pourueu qu’ils n’exce-
dent la médiocrité harmonieufe : comme fift vn certain lieutenant ciuil
qui taxa xxx. efcus d’efpices pour auoir adiugé la maintenue d’vn bene-
fice litigieux,oû il n y auoit que trois pieces à voir: on s’en porta pour
appellant:&fus la decifion de l’appel, le luge fut mandé, qui dift que
le benefice eftoit de grande valeur. Ranconet prefident de la cham¬
bre dift alors, que fon coufturier cn vfoit ainfi, luy faifant payer da¬
uantage pour la façon d’vn faye de velours, que de farge. maislelu-
ge fift refponfe, qu’il eftoit contraint faire plufieurs coruees pourles
pauures, fans aucun falaire. Car l’ordonnance de Milan qui veut que
les luges puiflent prendre pour leur falaire vn pour cent de chacune
partie, Ôc n’exceder iamais deux cens efcus, les eferiptures comprifes,
n’euft pas contenté Ranconet, parce qu’il y a tel procès de dix efcus,
où il y a fouuent plus de peine, qu’en celuy où il eft queftion de dix
mil efcus. Ainfi le marchât gaigne fus le riche,ce qu’il perd fus le pauure.Iltfaut donc, s’il eft poflible, que les loix foyent telles, qu’on y puifle
remarquer la proportion harmonique, foit pour les peines & loyers,
foit pour l’intereft particulier, foit pour le droit des fucceflions : au¬
trement il sera bien difficile qu’on ne face beaucoup d’injustice.