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BOILEAU

Un traître, un scélérat, un perfide, un menteur,
Un fou dont les accès vont jusqu’à la furie,
Et d’un tronc fort illustre une branche pourrie.
EtJe m’emporte peut-être, et ma muse en fureur
Verse dans ses discours trop de fiel et d’aigreur :
Il faut avec les grands un peu de retenue.
Eh bien ! je m’adoucis. Votre race est connue,
Depuis quand ? répondez. Depuis mille ans entiers ;
Et vous pouvez fournir deux fois seize quartiers.
C’est beaucoup. Mais enfin les preuves en sont claires.
Tous les livres sont pleins des titres de vos pères ;
Leurs noms sont échappés du naufrage des temps.
Mais qui m’assurera qu’en ce long cercle d’ans,
À leurs fameux époux vos aïeules fidèles,
Aux douceurs des galans furent toujours rebelles ?
Et comment savez-vous si quelque audacieux
N’a point interrompu le cours de vos aïeux ;
Et si leur sang tout pur, ainsi que leur noblesse,
Est passé jusqu’à vous de Lucrèce en Lucrèce ?
EsQue maudit soit le jour où cette vanité
Vint ici de nos mœurs souiller la pureté !
Dans les temps bienheureux du monde en son enfance,
Chacun mettoit sa gloire en sa seule innocence ;
Chacun vivoit content, et sous d’égales lois,
Le mérite y faisoit la noblesse et les rois ;
Et, sans chercher l’appui d’une naissance illustre,
Un héros de soi-même empruntoit tout son lustre.
Mais enfin par le temps le mérite avili
Vit l’honneur en roture, et le vice ennobli ;
Et l’orgueil, d’un faux titre appuyant sa foiblesse,
Maîtrisa les humains sous le nom de noblesse.
De là vinrent en foule et marquis et barons :
Chacun pour ses vertus n’offrit plus que des noms.
Aussitôt maint esprit fécond en rêveries