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SATIRE IX.

Quoi ! pour un maigre auteur que je glose en passant,
Est-ce crime, après tout, et si noir et si grand ?
Et qui, voyant un fat s’applaudir d’un ouvrage
Où la droite raison trébuche à chaque page,
Ne s’écrie aussitôt : L’impertinent auteur !
L’ennuyeux écrivain ! Le maudit traducteur !
A quoi bon mettre au jour tous ces discours frivoles,
Et ces riens enfermés dans de grandes paroles ?
EtEst-ce donc là médire, ou parler franchement ?
Non, non, la médisance y va plus doucement.
Si l’on vient à chercher pour quel secret mystère
Alidor[1] à ses frais bâtit un monastère :
Alidor ! dit un fourbe, il est de mes amis,
Je l’ai connu laquais avant qu’il lut commis :
C’est un homme d’honneur, de piété profonde,
Et qui veut rendre à Dieu ce qu’il a pris au monde
EtVoilà jouer d’adresse, et médire avec art ;
Et c’est avec respect enfoncer le poignard.
Un esprit né sans fard, sans basse complaisance,
Fuit ce ton radouci que prend la médisance.
Mais de blâmer des vers ou durs ou languissans,
De choquer un auteur qui choque le bon sens,
De railler d’un plaisant qui ne sait pas nous plaire,
C’est ce que tout lecteur eut toujours droit de faire
C’Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité ;
A Malherbe, à Racan, préférer Théophile[2],
Et le clinquant du Tasse à tout l’or de Virgile[3].

  1. Boileau désigne ici un fameux fermier, général, Dalibert, dont il déguise à peine le nom.
  2. Un homme de qualité fit un jour ce beau jugement en ma présence. (B.)
  3. Le clinquant du Tasse est une expression bien dure pour le poëte italien. Tout en lui préférant Virgile, Boileau aurait mieux fait d’adoucir la sentence.