Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/243

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Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,
Et plut innocemment dans les vers de Ménandre[1].
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S’y vit avec plaisir, ou crut ne s’y point voir :
L’avare, des premiers, rit du tableau fidèle
D’un avare souvent tracé sur son modèle ;
Et mille fois un fat finement exprimé
Méconnut le portrait sur lui-même formé.
Que la nature donc soit votre étude unique,
Auteurs qui prétendez aux honneurs du comique
Quiconque voit bien l’homme, et, d’un esprit profond,
De tant de cœurs cachés a pénétré le fond ;
Qui sait bien ce que c’est qu’un prodigue, un avare,
Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre,
Sur une scène heureuse il peut les étaler,
Et les faire à nos yeux vivre, agir et parler.
Présentez-en partout les images naïves ;
Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.
La nature, féconde en bizarres portraits,
Dans chaque âme est marquée à de différents traits ;
Un geste la découvre, un rien la fait paroître :
Mais tout esprit n’a pas des yeux pour la connoître.
MaLe temps, qui change tout, change aussi nos humeurs :
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs.
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l’impression des vices ;
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.
L’âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s’intrigue, se ménage,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,

  1. Ménandre nous est à peine connu. Nous ne possédons que de courts fragments de ses comédies.