Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/251

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Un auteur vertueux, dans ses vers innocens,
Ne corrompt point le cœur en chatouillant les sens :
Son feu n’allume point de criminelle flamme.
Aimez donc la vertu, nourrissez-en votre âme :
En vain l’esprit est plein d’une noble vigueur ;
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.
LeFuyez surtout, fuyez ces basses jalousies.
Des vulgaires esprits malignes frénésies[1].
Un sublime écrivain n’en peut être infecté ;
C’est un vice qui suit la médiocrité.
Du mérite éclatant cette sombre rivale
Contre lui chez les grands incessamment cabale,
Et, sur les pieds en vain tâchant de se hausser,
Pour s’égaler à lui cherche à le rabaisser.
Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues :
N’allons point à l’honneur par de honteuses brigues.
N’Que les vers ne soient pas votre éternel emploi,
Cultivez vos amis, soyez homme de foi :
C’est peu d’être agréable et charmant dans un livre,
Il faut savoir encore et converser et vivre.
Il Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain
Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain.
Je sais qu’un noble esprit peut, sans honte et sans crime,
Tirer de son travail un tribut légitime[2];
Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoûtés de gloire et d’argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d’un libraire,
Et font d’un art divin un métier mercenaire.

  1. Boileau et Racine excitaient la jalousie des auteurs médiocres par la faveur dont ils jouissaient à la cour, et par conséquent avaient souvent bien de lâches intrigues à déjouer.
  2. Despréaux « m’a assuré, dit Louis Racine, qu’il n’avoit fait ces deux vers que pour mon père qui retiroit quelque profit de ses tragédies. »