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ÉPÎTRE I.

Je laisse aux plus hardis l’honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.
EtMalgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.
Quoi ! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon roi spectateur inutile,
Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m’exercer
Que ma tremblante voix commence à se glacer ?
Dans un si beau projet, si ma muse rebelle
N’ose le suivre aux champs de Lille et de Bruxelle,
Sans le chercher au nord de l’Escaut et du Rhin,
La paix l’offre à mes yeux plus calme et plus serein.
Oui, grand roi, laissons là les sièges, les batailles :
Qu’un autre aille en rimant renverser les murailles ;
Et souvent, sur tes pas marchant sans ton aveu,
S’aille couvrir de sang, de poussière et de feu.
À quoi bon, d’une muse au carnage animée,
Échauffer ta valeur, déjà trop allumée ?
Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,
Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Et« Pourquoi ces éléphans, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage ? »
Disoit au roi Pyrrhus un sage confident[1],
Conseiller très-sensé d’un roi très-imprudent.
Co« Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l’on m’appelle.
— Quoi faire ? — L’assiéger. — L’entreprise est fort belle,
Et digne seulement d’Alexandre ou de vous :
Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous ?
— Du reste des Latins la conquête est facile.
— Sans doute, ou les peut vaincre : est-ce tout ? — La Sicile
De là nous tend les bras ; et bientôt sans effort,

  1. Paraphrase de la conversation de Cinéas et Pyrrhus, racontée par Plutraque.