Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/29

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vie, avec trois compagnes charmantes, la nature, l’amitié et la poésie. Car cet homme qu’on s’est plu à dire si froid, goûtait ces trois biens avec transport. Il manifeste ces goûts vifs et simples en cent endroits de ses écrits, mais notamment avec un singulier bonheur d’expression et une vivacité toute poétique dans ses délicieuses Épitres à Lamoignon et à son jardinier d’Auteuil. Il y a peu de passion dans l’Épitre au jardinier Antoine, si l’on entend par ce mot un grand élan désordonné ; mais quel charme ! quel naturel ! quel abandon ! dans ce passage sur le travail du poëte comparé à celui du jardinier :

Antoine, de nous deux, tu crois donc, je le voi,
Que le plus occupé dans ce jardin, c’est toi.
Oh ! que tu changerais d’avis et de langage,
Si deux jours seulement libre du jardinage,
Tout à coup devenu poëte et bel esprit,
Tu t’allais engager…

Certes, il n’y a là rien d’extravagant, mais tout cela est senti et passionné au degré qui convenait au caractère grave du poëte. Sans doute, on ne le voit s’écrier nulle part comme Horace :

O rus, quando te aspiciam !

ou bien encore comme Virgile :

O fortunatos nimium, sua si bona norint,
Agricolas !

Mais il ne s’en suit pas, que pour exprimer ses