Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/324

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Chacun chercha pour plaire un visage emprunté :
Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante
Affecta d’étaler une pompe insolente ;
L’or éclata partout sur les riches habits ;
On polit l’émeraude, on tailla le rubis ;
Et la laine et la soie, en cent façons nouvelles,
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles.
La trop courte beauté monta sur des patins ;
La coquette tendit ses lacs tous les matins ;
Et, mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage.
L’ardeur de s’enrichir chassa la bonne foi :
Le courtisan n’eut plus de sentimens à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu’erreur, que tromperie :
On vit partout régner la basse flatterie.
Le Parnasse surtout, fécond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs.
De là vint cet amas d’ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, épîtres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et, fût-il louche ou borgne, est réputé soleil[1].
Ne crois pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que, d’un frivole encens malignement avare,
J’en veuille sans raison frustrer tout l’univers.
La louange agréable est l’âme des beaux vers :
Mais je tiens, comme toi, qu’il faut qu’elle soit vraie,
Et que son tour adroit n’ait rien qui nous effraye.
Alors, comme j’ai dit, tu la sais écouter,
Et sans crainte à tes yeux on pourroit t’exalter.

  1. Ménage avait comparé Abel Servien au soleil, tout borgne qu’il était. Il est vrai de dire que Servien, surintendant des finances, pouvait

    Faire dans un écu reluire le soleil.