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DISCOURS AU ROI[1]

1665.

Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse
N’est point le fruit tardif d’une lente vieillesse,
Et qui seul, sans ministre[2], à l’exemple des dieux[3],
Soutiens tout par toi-même, et vois tout par tes yeux :
Grand roi, si jusqu’ici, par un trait de prudence,
J’ai demeuré pour toi dans un humble silence,
Ce n’est pas que mon cœur, vainement suspendu,

  1. Le discours au roi, placé en tête des poésies de Boileau, n’est pas son premier ouvrage. Lorsqu’il le fit (1665) il était âgé de vingt-neuf ans, et il avait déjà composé cinq de ses satires.
  2. À la mort de Mazarin, Louis XIV prit la direction des affaires.
  3. Tel était au dix-septième siècle le diapason de l’éloge, monté à un point qu’il touchait à l’apothéose. Mme de Sévigné raconte, avec son style habituel, dans une lettre datée du 13 juin 1685, un trait de flatterie qui dépassait tellement la mesure qu’on dut s’en inquiéter : « On nous mande, écrit-elle, que les Minimes de Provence ont dédié une thèse au roi, où ils le comparent à Dieu, mais d’une manière qu’on voit clairement que Dieu n’est que la copie. On l’a montrée à M. de Meaux (Bossuet), qui l’a portée au roi, disant que Sa Majesté ne la devoit pas souffrir. Le roi a été de cet avis ; on a renvoyé la thèse en Sorbonne pour juger ; la Sorbonne a décidé qu’il la falloit supprimer. Trop est trop ; je n’eusse jamais soupçonné des Minimes d’en venir à cette extrémité. » Boileau n’allait pas jusque-là, et en comparant le roi aux dieux de l’Olympe, il se sauvait de l’hérésie par le paganisme.