Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/72

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Balance pour t’offrir un encens qui t’est dû,
Mais je sais peu louer ; et ma muse tremblante
Fuit d’un si grand fardeau la charge trop pesante,
Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir,
Touchant à tes lauriers, craindroit de les flétrir.

Ainsi, sans m’aveugler d’une vaine manie,
Je mesure mon vol à mon foible génie :
Plus sage en mon respect que ces hardis mortels
Qui d’un indigne encens profanent tes autels ;
Qui, dans ce champ d’honneur où le gain les amène,
Osent chanter ton nom, sans force et sans haleine ;
Et qui vont tous les jours, d’une importune voix,
T’ennuyer du récit de tes propres exploits.

L’un, en style pompeux habillant une églogue[1].
De ses rares vertus te fait un long prologue,
Et mêle, en se vantant soi-même à tout propos,
Les louanges d’un fat à celles d’un héros.

L’autre, en vain se lassant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot et la lime,
Grand et nouvel effort d’un esprit sans pareil !
Dans la fin d’un sonnet te compare au soleil[2].

Sur le haut Hélicon leur veine méprisée
Fut toujours des neuf Sœurs la fable et la risée.
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et Pégase pour eux refuse de voler.
Cependant à les voir enflés de tant d’audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse,
On diroit qu’ils ont seuls l’oreille d’Apollon,
Qu’ils disposent de tout dans le sacré vallon :
C’est à leurs doctes mains, si l’on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le soin de ta gloire ;

  1. Charpentier avait composé l’Églogue royale en l’honneur de Louis XIV.
  2. Chapelain dans un sonnet avait comparé le roi au soleil.