Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/84

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trop cruel démenti au docte Servius, qui assure positivement le contraire. En un mot, qu’ordonneront mes censeurs de Catulle, de Martial, et de tous les poëtes de l’antiquité, qui n’en ont pas usé avec plus de discrétion que Virgile ? Que penseront-ils de Voiture, qui n’a point fait conscience de rire aux dépens du célèbre Neuf-Germain[1], quoique également recommandable par l’antiquité de sa barbe et par la nouveauté de sa poésie ? Le banniront-ils du Parnasse, lui et tous les poëtes de l’antiquité, pour établir la sûreté des sots et des ridicules ? Si cela est, je me consolerai aisément de mon exil : il y aura du plaisir à être relégué en si bonne compagnie. Raillerie à part, ces messieurs veulent-ils être plus sages que Scipion et Lélius, plus délicats qu’Auguste, plus cruels que Néron ? Mais eux qui sont si rigoureux envers les critiques, d’où vient cette clémence qu’ils affectent pour les méchans auteurs ? Je vois bien ce qui les afflige ; ils ne veulent pas être détrompés. Il leur fâcbe d’avoir admiré sérieusement des ouvrages que mes satires exposent à la risée de tout le monde, et de se voir condamnés à oublier dans leur vieillesse ces mêmes vers qu’ils ont autrefois appris par cœur comme des chefs-d’œuvre de l’art. Je les plains sans doute ; mais quel remède ? Faudra-t-il, pour s’accommoder à leur goût particulier, renoncer au sens

  1. Neuf-Germain était un célèbre faiseur d’acrostiches sous Louis XIII. La nouveauté de sa poésie consistait à placer à la fin de ses vers une syllabe du nom du personnage auquel il les dédiait. Il faut croire qu’il ne se faisait guère d’illusion sur son mérite, puisqu’il s’intitulait lui-même poëte hétéroclite de Monsieur.