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LE SATANISME ET LA MAGIE

décernait ce sobriquet. « Mon nom, expliquait-il, me vient d’une famille illustre et lointaine qui s’est écroulée ; « Chavat » veut dire en le patois du pays « tombé là-bas ». — C’était du front à la ceinture un étrange personnage presque solennel, avec des cheveux tels qu’on les imagine au chef d’Isaïe, un visage calamiteux et robuste, et sur la poitrine le tatouage exhibé d’un crucifix. Mais de la ceinture aux pieds, il se terminait dérisoire eu jambes tortes, exécrable nabot. Son vêtement, qu’il ne quitta pendant des dizaines d’années, était fait d’étoffe paysanne et inusable, sans couleur, gondolée et raidie à l’empreinte de son corps. La rumeur des servantes lui attribuait la mort de sa femme et de son fils trouvé étranglé dans le torrent. Mais il ne fut inquiété jamais. Il se plaisait à cette attitude de moine laïque, s’assimilait à ce Melchissedeck indécis et formidable, traversant l’époque patriarchale, sans père, sans more, sans épouse, sans fils. S’il tua les siens, ce ne fut à vrai dire que pour aggraver l’ombre autour de sa personne, pour se magnifier de mystère. Ainsi, il s’aimantait de plus d’ascendant sur la région qui allait en pèlerinage le consulter. Par malheur la libre pensée infecta Tullins, on railla l’oracle, on manqua laisser mourir de faim le prophète. Ses sermons confus, ses prédictions apocalyptiques induites d’événements saugrenus et parfois scatologiques ne furent plus récompensés de l’indispensable victuaille. Alors Chavat raccommoda des plats pour une assiette de soupe. Le peintre Blache, dont je tiens ces détails, a fixé la physionomie insolite de ce mendiant, écouté des humbles, conspué par les bourgeois. Il me raconta que jamais Chavat ne manquait la messe du dimanche. Il est vrai que, pareil à l’ancien sorcier, ce