qui la frappera, l’humiliera, la tuera. Tout le rite le prouve, envoûter revient à une sorte d’expédition mystique dans les contrées ravagées d’une âme ; le vainqueur a vite fait d’enchaîner les pauvres captifs fluidiques ; il les emporte en d’étroits véhicules (ces menus objets ayant appartenu à l’envoûté et dont se charge la statuette) ; il les dispose en ses cachots (la statuette elle-même) où il les nourrit de malédictions, les abreuve de leur propre sang qui ruisselle sous les verges. Que fera pendant ce temps le reste du peuple qui garde la patrie dépossédée (c’est-à-dire la sensibilité de l’envoûté) ? Il pleurera, il se plaindra, il dépérira, s’éteindra peut-être…, le cœur de son cœur n’est plus avec lui, il est là-bas dans les bastilles de l’ennemi, aux ergastulaires. Oui, chaque coup sur les épaules du prisonnier s’enfonce dans les chairs libres de celui qui a été séparé de son frère, de son fils ou de son ami.
Et il rôdera autour des barreaux de fer de la prison, se fera cueillir peut-être presque volontairement afin de ne pas laisser souffrir seul le cher camarade[1].
Ainsi l’envoûtement ne s’identifie plus, comme on l’a cru jusqu’ici, à des formules obscures et hétéroclites, à des gestes de fou ; il est logique ; dans ses frontières restreintes, dans son action diminuée d’individu seulement à individu, il recommence l’éternelle odyssée guerrière, la croisade, l’invasion, le piège belliqueux. Dans la mystique, il immisce les mœurs brutales des premiers peuples. Triste
- ↑ Je ne fais pas une hypothèse gratuite. Voir, au § IV de ce chapitre, les expériences du Dr Luys et de M. de Rochas.