Ah ! elle se souvient. Ce n’est point vainement, sans motif, que le Diableacquit cette puissance inextricable d’où elle n’échappera pas. Elle épie ses souvenirs. Oui, le visage du Démon revêt l’aspect de son premier péché, de son crime inavoué toujours, de cette défaillance dont fut bouleversée sa vie. Symbole du pacte inconscient qu’elle trama, il ressemble à l’amant dévastateur de ses devoirs, à celui dont irrémédiablement s’affola son avenir ; il ressemble à tous les péchés d’au delà cette vie et de cette vie, il ressemble à ce karma[1] noir et souffrant qui domine ses présents jours ; il ressemble à son mauvais génie, il est sa douleur, son remords ; il est sa perversité depuis les premiers jardins édéniques. Ce fils, cet époux, est aussi le père de sa mission, l’origine de sa mésaventure, l’ancêtre de son mélancolique et solitaire destin.
Désormais, initiée par l’époux-fils-père, elle promène en l’agitation des heures son hystérie hallucinée ; elle porte l’uniforme de Satan, cette robe sans âge, sans mode, défraîchie et rutilante, encombrée de breloques, de faux bijoux, de strass. Elle colporte, trafique, vend, achète, guignant les soldes, les fortunes qui s’effritent, les désespérés qui ne savent, pour une bouchée de pain, comment liquider les débris de leur avoir. Eprise surtout des prêtres, elle est ravie de les tenter, de les gâter, de les pourrir jusqu’à l’abjection d’un sacrilège auquel elle coopérera de ses nerfs éperdus. Elle irrue dans les chapelles des moines, au soleil levée, dès l’office de cinq heures, pénètre dans le parloir,
- ↑ Selon les doctrines ésotériques, le Karma est la somme de tous les actes du passé et des précédentes incarnations. On peut admettre deux Karmas, le noir et le blanc, celui des péchés et des vies mauvaises, celui des bonnes actions et des existences pures. De là sortirait la conception des deux anges, de l’Ange gardien et du Démon gardien.