Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/77

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bois — annoncent que le boulanger est à l’ouvrage ; un bruit de pas, un murmure de voix : ce sont les rondes de relève ; dans les rares instants de calme absolu, des ronflements sonores se font écho ; et parfois quelque cheval échappé pique une charge à travers la place d’armes.

Quel admirable pays de forêt vierge, partout impénétrable, sauf pour les Thos qui cultivent le riz dans quelques petites plaines disséminées comme des îles en plein océan de végétation ! Il est bien un être à part, le Tho de ces pays, produit de la montagne et de la forêt, cet homme qui va d’une allure presque lente, mais à si larges enjambées que nul Européen ne pourrait le suivre, qui se glisse silencieusement à travers les fourrés sans ébranler une feuille, et qui voyage la nuit, de préférence, sous ces ombrages denses, à travers ces régions où il doit s’orienter sans le secours des étoiles.

Pour arriver à S…, j’ai voyagé dix jours en forêt, humant l’odeur fiévreuse des feuilles et de la terre, sur le sol toujours humide, sous un inextricable entrelacement de branches, de lianes et de bambous. Il me souvient d’un ravin couvert d’une végétation prodigieuse, un dôme vert impénétrable à la vue, que dominait, seul, en avant d’une haute futaie, comme un roi précédant