Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/76

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d’une plaine déserte ; une palissade entoure une douzaine de cai-nhàs de chaume, et quelques chaumières s’espacent au pied du mamelon. La nuit tombe et noie dans ses ombres les lointains de la plaine et l’horizon de montagnes rangées en cercle ; un vent froid fait trembler les cloisons dans les cases, frissonner les paillotes et grincer lés bambous secs ; il vient de là-bas, de l’inconnu ; il va vers l’inconnu, là-bas : deux inconnus qu’on sait hostiles. comme on se sent seul, ainsi qu’en plein océan, dans ce rectangle fortifié, à peine plus vaste qu’un transatlantique ; comme on se réchauffe joyeusement à la flamme de bonnes causeries, dans cette salle à manger des officiers, ardemment éclairée, avec ses deux fenêtres où s’encadre un coin de l’espace sombre. Ici l’on bavarde, on chante, dans ce minuscule carré de lumière ; au-dehors, le vent qui siffle et rugit emporte l’appel effaré des cornacs ou le souverain miaulement du tigre. De quart d’heure en quart d’heure, on entend le : “ Sentinelle, veillez ! ” courant d’un factionnaire à l’autre, la voix grave des Européens alternant avec l’appel nasillard des indigènes ; puis un féroce :

“ Alta-là, ki bieu ! ” vociféré par un tirailleur annamite, et le déclic de la culasse. Vers deux heures du matin, des coups sourds et réguliers — du bois frappant sur du