Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la longueur des lettres diminue, mais le ton n’en est plus le même, et les marques de tendresse y deviennent de plus en plus rares. On en peut tout d’abord conclure que cette affection ne fut pas de celles que le temps augmente : l’habitude de vivre ensemble, qui entre pour une si grande part dans les liaisons, affaiblit celle-là. Au lieu de se fortifier, elle s’usa en durant. Les premières lettres sont d’une passion incroyable. Il y avait pourtant prés de vingt ans que Cicéron était marié ; mais il était alors bien malheureux, et il semble que le malheur rende les gens plus tendres, et que les familles éprouvent le besoin de se rapprocher davantage quand de grands coups les frappent. Cicéron venait d’être condamné à l’exil. Il s’éloignait bien tristement de Rome, où il savait qu’on brûlait sa maison, qu’on poursuivait ses amis, qu’on outrageait sa famille. Terentia s’était très énergiquement conduite ; elle avait souffert pour son mari, et souffert avec courage. En apprenant la façon dont on l’avait traitée, Cicéron lui écrivait avec désespoir : Que je suis malheureux ! Et faut-il qu’une femme si vertueuse, si honnête, si douce, si dévouée, soit ainsi tourmentée à cause de moi ![1] Persuadez-vous, lui disait-il ailleurs, que je n’ai rien de plus cher que vous. En ce moment, je crois vous voir, et je ne puis retenir mes pleurs ![2] Il ajoutait avec plus d’effusion encore ! Ô ma vie, je voudrais vous revoir et mourir dans vos bras ![3] La correspondance s’arrête ensuite pendant six ans. Elle reprend à l’époque où Cicéron quitta Rome pour aller gouverner la Cilicie, mais le ton en est fort changé. Dans la seule lettre qui nous reste de ce moment, les tendresses sont remplacées par les affaires. Il y est question d’un héritage qui était sur-

  1. Ad fam., XIV, 1.
  2. Ad fam., XIV, 3.
  3. Ad fam., XIV, 4.