Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/107

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les plus sérieuses de la vie ; il ne l’associa point à ses convictions et à ses croyances. Nous en avons dans sa correspondance une preuve curieuse. Terentia était dévote, et dévote à l’excès. Elle consultait les devins, elle croyait aux prodiges. Cicéron ne se donna pas la peine de la guérir de ce travers. Il semble même quelque part faire un singulier partage d’attributions entre elle et lui ; il la montre servant respectueusement les dieux, tandis que lui s’occupe à cultiver les hommes[1]. Non seulement il ne gênait pas sa dévotion, mais il avait pour elle des complaisances qui nous surprennent. Voici ce qu’il lui écrivait au moment où il allait partir pour le camp de Pompée : « Je suis enfin délivré de ce malaise et de ces souffrances que j’éprouvais et qui vous causaient beaucoup de chagrin. Le lendemain de mon départ, j’en ai reconnu la cause. J’ai rejeté, pendant la nuit, de la bile toute pure, et je me suis senti soulagé, comme si quelque dieu m’avait servi de médecin. C’est évidemment Apollon et Esculape. Je vous prie de leur en rendre grâces avec votre piété et votre zèle ordinaires[2]. » Ce langage est étrange dans la bouche de ce sceptique qui a écrit le traité sur la Nature des dieux ; mais Cicéron était sans doute de ces gens comme Varron et beaucoup d’autres qui, tout en faisant eux-mêmes peu d’usage des pratiques religieuses, trouvaient qu’elles ne sont pas mauvaises pour le peuple et pour les femmes.

Il nous reste tout un livre de lettres de Cicéron à Terentia ; ce livre contient l’histoire de son ménage. Ce qui frappe, dès qu’on l’ouvre, c’est qu’à mesure qu’on avance, les lettres se raccourcissent ; les dernières ne sont plus que de très courts billets. Et non seulement

  1. Ad fam., XIV, 4 : Neque Dii, quos tu castissime coluisti, neque homines, quibus ego semper servivi, etc.
  2. Ad fam., XIV, 7.