Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/113

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acheva d’irriter Cicéron, que d’autres motifs sans doute avaient aigri et blessé depuis longtemps. Il se résigna au divorce, mais il ne s’y résigna pas sans douleur. On ne brise pas impunément des liens que l’habitude, à défaut de l’affection, aurait dû resserrer. Il semble qu’au moment de se séparer, après tant de jours heureux passés ensemble, tant de maux supportés en commun, il doit toujours y avoir quelque souvenir qui se réveille et qui réclame. Ce qui ajoute à la tristesse de ces pénibles moments, c’est que lorsqu’on voudrait se recueillir et s’isoler dans sa douleur, les gens d’affaires arrivent ; il faut défendre ses intérêts, compter et discuter avec eux. Ces débats, qui n’avaient jamais convenu à Cicéron, le faisaient alors souffrir plus qu’à l’ordinaire. Il disait à l’obligeant Atticus, en le priant de s’en charger pour lui : « Ce sont des blessures trop fraîches ; je n’y saurais toucher sans les faire saigner[1]. » Et comme Terentia chicanait toujours, il voulut qu’on mît fin à la discussion en lui accordant tout ce qu’elle demandait. « J’aime mieux, écrivait-il, avoir à me plaindre d’elle que si je devais être mécontent de moi-même[2]. »

On comprend que les malins ne manquèrent pas de se divertir à propos de ce divorce. C’étaient après tout de justes représailles, et Cicéron s’était trop souvent moqué des autres pour exiger qu’on l’épargnât lui-même. Malheureusement il leur donna peu de temps après une occasion nouvelle de s’égayer à ses dépens. Malgré ses soixante-trois ans il songea à se remarier, et il alla choisir une très jeune fille, Publilia, que son père en mourant avait confiée à sa tutelle. Un mariage de tuteur avec sa pupille est un vrai mariage de comédie, et il est assez ordinaire que le, tuteur s’en trouve mal. Comment se fait-il que Cicéron, avec son expérience de la vie et

  1. Ad Att., XII, 22.
  2. Ad Att., XII, 21.