Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/119

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l’éloge que lui accordait Antoine, qui n’aimait pas sa famille[1]. On voudrait pourtant savoir comment elle avait supporté l’éducation que son père lui avait donnée. Cette éducation nous tient malgré nous en défiance, et nous ne pouvons nous empêcher de craindre que Tullia n’en ait un peu souffert. La façon même dont son père l’a pleurée nuit pour nous à son souvenir. Peut-être ne lui a-t-il pas rendu service en composant à sa mort ce traité de la Consolation qui était rempli de son éloge. Une jeune femme si malheureuse méritait une élégie ; un traité philosophique semble lourd à sa mémoire. N’est-il pas possible que son père l’ait un peu gâtée en voulant la rendre trop savante ? C’était assez l’habitude à ce moment. Hortensius avait fait de sa fille un orateur, et l’on prétend qu’elle plaida un jour une cause importante mieux qu’un bon avocat. Je soupçonne que Cicéron avait voulu faire de la sienne un philosophe, et je crains qu’il n’y ait trop bien réussi. La philosophie présente bien des dangers pour une femme, et Mme de Sévigné n’eut pas beaucoup à se louer d’avoir mis sa fille au régime de Descartes. Cette figure pédante et sèche n’est pas propre à nous faire aimer les femmes philosophes.

La philosophie réussit moins bien encore au fils de Cicéron, Marcus, qu’à sa fille. Son père se trompa complètement sur ses goûts et ses aptitudes, ce qui n’est pas très extraordinaire, car la tendresse paternelle est souvent plus vive qu’éclairée. Marcus n’avait en lui que les instincts d’un soldat, Cicéron voulut en faire un philosophe et un orateur ; il y perdit sa peine. Ces instincts, un moment comprimés, reparaissaient toujours avec plus de violence. À dix-huit ans, Marcus vivait comme tous les jeunes gens de cette époque, et l’on

  1. Ad Att., X, 8.