Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/145

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fortune[1]. À la rigueur, ce commerce pouvait s’avouer, et il n’était pas défendu à un ami des lettres de se faire libraire ; mais Atticus s’est mêlé aussi de beaucoup d’autres opérations qui auraient dû lui répugner davantage. Comme il voyait le succès qu’obtenaient partout les combats de gladiateurs, et qu’il n’y avait plus de fête sans quelqu’une de ces grandes tueries, il songea à élever des gladiateurs dans ses domaines. Il les faisait instruire soigneusement dans l’art de mourir avec grâce, et les louait très cher aux villes qui voulaient se divertir[2]. Il faut avouer que ce n’est pas un métier qui convienne à un savant et à un sage ; mais on y gagnait beaucoup, et la sagesse d’Atticus était accommodante dès qu’il y avait un honnête profit à faire. De plus, il était banquier à l’occasion et prêtait à gros intérêts, comme faisaient sans scrupule les plus grands seigneurs de Rome. Seulement il y mettait un peu plus de ménagements que les autres, et prenait soin de paraître le moins possible dans les affaires qu’il traitait ; il avait sans doute dans l’Italie et dans la Grèce des agents fort adroits qui faisaient valoir ses fonds. Ses relations s’étendaient dans le monde entier ; on lui connaît des débiteurs en Macédoine, en Épire, à Éphèse, à Délos, un peu partout. Il prêtait aux particuliers ; il prêtait aussi aux villes, mais tout à fait en secret, car cette industrie était alors aussi peu estimée qu’elle était lucrative, et les gens qui s’y livraient ne passaient pas pour être honnêtes ni scrupuleux. Aussi Atticus, qui tenait autant à sa réputation qu’à sa fortune, ne voulait-il laisser savoir à personne qu’il ne négligeait pas ces sortes de profits. Il le cachait soigneusement même à son ami Cicéron, et nous l’ignorerions aujourd’hui, s’il n’avait point éprouvé

  1. C’est ce que j’ai essayé d’établir avec plus de détails dans un mémoire publié par la Revue archéologique et intitulé : Atticus, éditeur de Cicéron.
  2. Ad Att., IV, 4 et 8.