Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaillent par métier. Telle est l’idée qu’il faut se faire de la science d’Atticus. Elle était trop étendue pour que l’entretien avec lui devînt jamais monotone ; elle n’était pas assez profonde pour qu’il courût le risque d’être ennuyeux ; elle était vivante enfin, car lorsqu’on fait les choses avec passion, il est naturel qu’on en parle avec intérêt. Voilà ce qui donnait tant d’attrait à sa conversation, et c’est par là qu’il a charmé les esprits les plus difficiles, et les moins prévenus. Il était bien jeune encore quand le vieux Sylla, qui n’avait pas de raisons pour l’aimer, le rencontra à Athènes. Il prit tant de plaisir à l’entendre lire des vers grecs et latins et causer de littérature, qu’il ne le quittait pas, et voulait à toute force le ramener avec lui à Rome. Longtemps après, Auguste éprouva le même charme ; il ne se lassait pas d’entendre causer Atticus, et quand il ne pouvait pas l’aller trouver, il lui écrivait tous les jours rien que pour recevoir ses réponses, et continuer ainsi de quelque façon ces longs entretiens dont il était ravi.

On peut donc se figurer que la première fois qu’on rencontrait cet homme spirituel on se sentait rapproché de lui par les agréments de sa conversation. À mesure qu’on le connaissait davantage, on découvrait d’autres qualités plus solides qui retenaient ceux que son esprit avait attirés. C’était d’abord une grande sûreté de commerce. Quoiqu’il fût lié avec des gens d’opinions très différentes et qu’il eût par eux le secret de tous les partis, on ne lui a jamais reproché de l’avoir trahi pour personne. On ne voit pas non plus qu’il ait fourni à aucun de ses amis de prétexte sérieux pour s’éloigner de lui, et qu’aucune de ses relations se soit brisée autrement que par la mort. Ce commerce si sûr était en même temps très facile. Personne n’a jamais été plus indulgent et plus commode. Il se gardait bien de fatiguer par ses exigences ou de rebuter par ses brusqueries.